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PROSEGUR / PROSEGUR

TAF, arrêt B-6253/2016 du 14 juillet 2021 – motifs relatifs, usage conservatoire en Allemagne, conditions d’application de la convention CH/D de 1892 concernant la protection réciproque de marques

Art. 12 LPM et 5 Convention CH/D: Celui qui n’utilise pas sa marque en Suisse et qui veut s’opposer à l’enregistrement d’une marque suisse doit disposer, outre d’une marque suisse, soit d’une marque allemande, soit d’un enregistrement international avec revendication pour l’Allemagne, soit enfin d’une marque de l’Union européenne.

Le TAF admet partiellement le recours formé par la titulaire de la marque opposante «PROSEGUR» (IR 605’490) contre la décision de l’IPI rejetant l’opposition contre les marques attaquées «PROSEGUR» (CH 663’236) et «PROSEGUR società di vigilanza (fig.)» (CHF 663’250).

Usage conservatoire sur le territoire allemand

La titulaire des marques attaquées a fait valoir le défaut d’usage de la marque opposante. Elle a obtenu gain de cause devant l’IPI. La titulaire conteste cette décision. Elle estime qu’elle a bel et bien fait un usage conservatoire de sa marque.

En principe, l’usage conservatoire doit avoir lieu sur le territoire suisse. Il existe deux exceptions au principe de territorialité : l’utilisation pour l’exportation (cf. TF, arrêt 4A_515/2017 du 4 juillet 2018 « Bentley ») et l’art. 5 de la convention du 13 avril 1892 entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques (convention CH/D).

L’arrêt précise les conditions pour invoquer la deuxième exception.

1 ère condition: être ressortissant ou établis en Allemagne ou en Suisse

Seuls les ressortissants allemands et suisses et les ressortissants de pays tiers résidant ou établis en Allemagne ou en Suisse peuvent se prévaloir des droits découlant de la convention CH/D. Il suffit que les personnes morales aient un établissement industriel ou commercial réel et non seulement apparent dans l’un des Etats contractants. En revanche, les ressortissants de pays tiers qui n’ont pas de résidence ou de succursale en Suisse ou en Allemagne ne peuvent tirer aucun droit de la convention CH/D pour eux-mêmes (ATF 124 III 277 consid. 2c « Nike »).

Cette condition est remplie en l’espèce. La recourante dispose d’une succursale en Allemagne.

2 ème condition: Marque enregistrée en Suisse et en Allemagne (ou dans l’UE)

La marque doit en outre être enregistrée dans les deux pays. Il est vrai que la convention CH/D ne prévoit pas explicitement ce double enregistrement et que les arrêts plus récents du TAF ne mentionnent plus systématiquement cette condition (par exemple: TAF B-681/2016 du 23 janvier 2018 consid. 2.6 « FACEBOOK/StressBook« ). Cette condition figurait cependant à l’art. 1 de la convention. Cet article a été abrogé suite de l’adhésion de l’Allemagne à la Convention de Paris, mais le TAF démontre que l’exigence d’un enregistrement dans les deux pays n’a pas pour autant disparu.

Il n’est toutefois pas nécessaire que les enregistrements soient identiques en Suisse et en Allemagne. Il suffit que les éléments essentiels soient les mêmes (ATF 96 II 243 consid. 5 « Blauer Bock »).

En l’espèce, la marque opposante invoquée constitue l’enregistrement en Suisse. La recourante ne dispose cependant d’aucune marque allemande au sens strict. En revanche, la recourante est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne (UE).

La jurisprudence suisse ne s’est jamais prononcée sur la question de savoir si une marque de l’UE pouvait être considérée comme un enregistrement en Allemagne au sens de la convention CH/D. Le TAF examine donc ce point et revient pour ce faire à l’art. 1 (abrogé) de la convention.

Il constate que cette disposition renvoyait aux exigences du droit interne de chaque Etat en ce qui concerne l’usage. Le TAF examine donc le droit allemand, lequel prévoit qu’une marque de l’UE est mise sur le même plan qu’une marque allemande classique au moins pour ce qui est de la procédure d’opposition. Par conséquent, dans le contexte de la convention CH/D, la marque de l’UE doit être vue comme un enregistrement en Allemagne de la marque opposante. Un enregistrement international, avec revendication pour l’Allemagne, donne le même privilège.

En l’occurrence, la recourante bénéfice d’une marque de l’UE qui rejoint, sur l’élément verbal dominant, celle enregistrée en Suisse. La deuxième condition est donc remplie.

Absence de réciprocité avec l’UE

Le TAF rappelle que si la Suisse reconnaît la marque de l’UE pour un usage en Allemagne, la réciprocité n’est pas donnée. En effet, la CJUE refuse que l’on invoque la convention CH/D pour démontrer l’usage d’une marque de l’UE. Il n’est ainsi pas possible de se prévaloir de l’usage en Suisse pour conserver une marque de l’UE (arrêt de la CJUE du 12 décembre 2013 C-445/12P Rivella International/OHMI « Baskaya/Passaia »).

La question posée à la CJUE dans l’affaire précité était de savoir si un usage en Suisse d’une marque de l’UE était pertinent pour le droit européen. La réponse est négative, car la convention CH/D ne fait pas partie du droit européen, mais seulement du droit interne allemand.

En l’espèce, la question est différente. C’est celle de savoir si l’usage en Allemagne d’une marque de l’UE est pertinent pour le droit suisse. Or, la convention CH/D fait partie du droit interne suisse et, selon la même logique, elle doit donc être appliquée.

Largesse dans la reconnaissance de l’usage pour les services

La convention étant applicable au cas d’espèce, le TAF examine si la recourante a fait un usage sérieux de sa marque en Allemagne.

Le TAF reconnaît que si la marque est utilisée exclusivement à titre de raison de commerce (enseigne), autrement dit comme renvoi à une entreprise et non aux marchandises que celle-ci commercialise ou fabrique, on ne saurait retenir un usage à titre de marque.

Il est toutefois généralement admis dans la jurisprudence et la doctrine que, dans le cas de marques de services, qui apparaissent également dans le nom du fournisseur de cette prestation, il faut faire preuve d’une certaine largesse dans la reconnaissance de l’usage.

Comme les services sont liés à l’entreprise qui les fournit en raison de leur caractère incorporel aux yeux du public, il n’est guère possible, dans ces cas, de distinguer entre l’utilisation du signe pour désigner l’entreprise et son utilisation en tant que marque. L’utilisation du signe sur les lettres commerciales, y compris des factures, sur des véhicules ou comme désignation des locaux commerciaux doit donc généralement être considérée comme préservant les droits des marques de service. Toutefois, cette hypothèse ne semble justifiée que pour les services qui relèvent du domaine principal de l’entreprise ou pour lesquels elle est connue du public.

En l’espèce, la recourante a produit plusieurs factures concernant les années pertinentes pour un montant de 250’000 Euro. Elles concernent toutes un usage sur le territoire allemand en lien avec le transport de valeur en fourgons blindés (cl. 39). L’usage de la marque opposante est conforme à son enregistrement. La marque opposante figure dans l’en-tête de toutes les factures examinées. Elle renvoie donc d’abord à l’entreprise (i.e. la recourante) à titre de raison de commerce. Cela étant, cette marque renvoie aussi aux services en question.

En lien avec ces services, l’usage a été rendu vraisemblable selon le TAF, qui accepte ainsi le recours. Il renvoie l’affaire à l’IPI pour qu’il statue sur l’usage sérieux en lien avec les autres produits et services revendiqués (en cl. 9 et 42) et sur le risque de confusion.

(TAF B-6253/2016 du 14 juillet 2021)

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