TAF, arrêt B-6813/2019 du 25 mai 2021 – motifs relatifs, défaut d’usage sérieux d’une marque
Art. 11 al. 1 LPM : Il ne suffit pas à un titulaire qui ne déploie pas une activité suffisante pour prétendre à un usage corporel suffisant de générer un site internet et quelques messages sur les réseaux sociaux pour obtenir la reconnaissance d’un usage sérieux. Cela reviendrait à admettre trop facilement un usage en Suisse à des titulaires de marques n’ayant pas une réelle activité sur le territoire helvétique.
Le TAF rejette le recours formé par la société française ALSTOM Transport Technologies et confirme ainsi la décision de l’IPI : la titulaire de la marque opposante n’a pas rendu vraisemblable un usage sérieux de sa marque internationale «APTIS» (IR 739’865). Dès lors, Le TAF permet l’enregistrement de la marque attaquée «APTIV» (CH 725’229) notamment pour des véhicules de transport en commun ferroviaires ou sur pneus.
L’arrêt se limite à l’examen de la question de l’usage sérieux de la marque opposante, l’IPI n’ayant pas examiné le risque de confusion. Après un rappel des principes généraux sur le caractère sérieux de l’usage de la marque, l’arrêt s’articule en deux points, à savoir, premièrement, la question de savoir si un usage, au sens corporel, sur le territoire allemand, peut être qualifié de sérieux selon le droit suisse et, deuxièmement, si en l’espèce l’usage virtuel de cette marque (internet et réseaux sociaux) peut être vu comme un usage sérieux, valant pour la Suisse, mais aussi pour l’Allemagne.
Usage sérieux de l’usage de la marque
Principes
L’usage d’une marque doit être sérieux, c’est-à-dire que son titulaire doit avoir l’intention de l’utiliser dans un but commercial réel, indépendamment que cette activité soit rentable ou non. La marque doit être utilisée dans les transactions commerciales. Le titulaire de la marque doit manifester sa volonté de satisfaire à toute demande dans la mesure où elle ne dépasse pas les attentes les plus optimistes. Il doit en outre prospecter le marché et pouvoir y démontrer une activité minimale durant une période prolongée.
Pour déterminer objectivement le sérieux de l’usage, il faut se fonder sur l’ensemble des circonstances du cas particulier. Les différents éléments objectifs doivent s’apprécier de manière globale.
En principe, seul l’usage en Suisse peut valider le droit à la marque (principe de territorialité). Une des exceptions à ce principe est l’art. 5 de la convention du 13 avril 1892 entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques (ci-après : la convention CH/D), qui assimile sous certaines conditions l’utilisation en Allemagne à l’utilisation en Suisse.
Utilisation corporelle en Allemagne – absence d’un usage sérieux selon le droit suisse
La recourante est une société, qui a son siège en France, mais qui a des filiales en Allemagne et en Suisse. C’est pourquoi, selon l’article 5 de la convention CH/D, l’utilisation des marques en Allemagne doit être assimilée à celle en Suisse.
La recourante ne prétend pas faire un usage sérieux, au sens corporel, de la marque opposante «APTIS» sur le territoire suisse. Le TAF examine donc la question de savoir si un usage, au sens corporel, sur le territoire allemand, peut être qualifié de sérieux selon le droit suisse.
Après examen des documents publicitaires de la recourante, le TAF estime qu’aucune indication n’existe quant au nombre de ces documents effectivement distribués et qu’ils servent uniquement à établir l’existence de bus portant la marque «APTIS» ou la présence de la recourante sur le territoire allemand et suisse. Ainsi, aucun usage sérieux ne peut être retenu sur la base de ces pièces.
Par ailleurs, aucun système de transport portant la marque «APTIS» n’a été vendu en Allemagne. Les efforts de commercialisation de ces bus se sont donc limités à des opérations (infructueuses) de prospection. Le TAF constate que, durant quelques jours seulement en février et septembre 2018 (moins d’un mois en totalité), la marque opposante «APTIS» a été présente physiquement, apposée sur des bus, dans les villes allemandes de Berlin et de Hambourg. Les actions de la recourante sur le sol allemand s’apparentent à une simple information sur l’existence de systèmes de transport nommés «APTIS». A aucun moment n’apparait une volonté de répondre à un besoin du marché (p.ex : soumission à des appels d’offres) comme le droit suisse l’exigerait.
Le TAF retient donc qu’en l’espèce les efforts de la recourante ont été très limités dans le temps (aux mois de mars et septembre 2018) et dans l’espace (deux villes allemandes : Berlin et Hambourg). Devant de faibles efforts de commercialisation, comme en l’espèce, il n’y a même pas à proprement parler de prospection du marché, qui exige selon la doctrine suisse une certaine permanence et une certaine intensité pour retenir un usage sérieux.
Absence d’utilisation virtuelle sur internet et les réseaux sociaux
Faute d’un usage corporel suffisant, le TAF analyse si, en l’espèce, l’usage virtuel de cette marque (internet et réseaux sociaux) peut être vu comme un usage sérieux, valant pour la Suisse, mais aussi pour l’Allemagne (à ce propos, voir l’ATF 146 III 225 pour les conditions dans lesquelles l’utilisation d’un signe sur internet sur les réseaux sociaux implique un usage du signe distinctif suisse).
Le TAF examine la Recommandation de l’OMPI concernant la protection des marques, et autres droits de propriété industrielle relatifs à des signes, sur internet de 2001. L’article 3 présente les facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’utilisation d’un signe sur internet a des incidences commerciales dans un Etat membre. Le TAF arrive à la conclusion que les différents critères d’appréciation de la Recommandation se regroupent avec les tentatives insuffisantes de la recourante de prospection du marché allemand. Par conséquent, si l’on devait retenir un usage sérieux sur internet et les réseaux sociaux, signifierait qu’il suffit à un titulaire, qui ne déploie pas une activité suffisante pour prétendre à un usage corporel suffisant, de générer un site internet et quelques messages sur les réseaux sociaux pour obtenir la reconnaissance d’un usage sérieux. Cela reviendrait à admettre trop facilement un usage en Suisse à des titulaires de marques n’ayant pas une réelle activité sur le territoire helvétique. La protection des marques suisses ne pourrait pas se satisfaire d’une telle solution.
En conséquence, l’usage sérieux de la marque opposante fait défaut. Le recours est ainsi rejeté.