TAF, arrêt B-4493/2022 du 26 juillet 2023 – motifs absolus, contenu thématique, appartenance au domaine public, recours admis
Art. 2 let. a LPM : Les signes déposés pour des produits et services ayant un contenu thématique sont examinés en se fondant sur l’intérêt réel du marché.
Art. 2 let. a LPM : Un signe est descriptif pour des produits ou services ayant un contenu thématique est descriptif lorsqu’il y a un lien suffisamment déterminé et reconnaissable sans effort particulier de réflexion ou d’imagination, c’est-à-dire une proximité suffisante entre ce signe et le contenu des produits/services. Ce lien n’est pas suffisant en l’espèce.
Art. 2 let. a LPM : Un signe est soumis à un besoin de libre disposition pour des produits ou services ayant un contenu thématique lorsqu’il y a une offre et une demande actuelles et réelles pour le signe en lien avec les produits/services en cause et que la marque entraverait la satisfaction de cette demande. Cette demande n’a pas été démontrée en l’espèce.
Le TAF admet le recours formé par la titulaire de la marque de forme «(fig.) « pomme »» (IR 1’028’240) ci-contre. Contrairement à ce qu’avait décidé l’IPI, ce signe n’est pas descriptif du contenu thématique des enregistrements sonores et vidéos et autres produits similaires pouvant avoir un contenu en classe 9. Le signe est donc distinctif et peut fonctionner comme marque.
Cette décision a incité l’IPI à revoir sa pratique en matière d’examen relatif aux signes pouvant renvoyer au contenu thématique.
Problème des signes descriptifs d’un contenu ou d’une forme possible
En principe, l’examen d’une marque se fait exclusivement sur la base de la demande d’enregistrement. L’utilisation prévue ou effective de la marque est sans pertinence dans ce contexte (ATF 143 III 127). En lien avec les produits en cause, qui sont des marchandises ayant un contenu thématique, il ne faudrait donc pas se baser sur l’utilisation du signe en tant que titre d’ouvrage, titre de magazine ou illustration. Le signe s’examine de manière indirecte et abstraite selon la compréhension du public et selon l’intérêt abstrait du marché.
Étant donné que presque tous les termes peuvent décrire ou représenter un contenu possible, un examen fondé sur l’intérêt abstrait du marché rendrait quasiment impossible l’enregistrement de marques pour de tels produits et services (TAF B-7663/2016 du 21 décembre 2017 consid. 2.5 – Super Wochenende [fig.]).
Un problème similaire se pose par rapport aux marques constituées d’une indication relative à la forme. Le TF a indiqué qu’il n’était évidemment pas possible d’exclure de la protection à titre de marque, en raison de son caractère descriptif, tout signe verbal qui se réfère à une certaine forme ou à un certain motif imaginable et possible pour des bagages, des vêtements, des chaussures ou des jouets (TF arrêt 4A_158/2022 consid. 6.3.1 – Butterfly). Pour pallier ce problème, le TF considère qu’une indication relative à la forme d’un produit n’est descriptive que si cette forme est usuelle et typique pour la catégorie de produits concernée. L’examen se base sur l’intérêt abstrait du marché.
Les marques tridimensionnelles au sens étroit constituent une autre facette du même problème. Il est admis que ces signes ne sont pas considérés comme descriptifs du seul fait qu’ils reproduisent la forme du produit enregistré et décrivent ainsi le produit, car sinon toutes les marques de forme seraient exclues de la protection de la marque. Contrairement à l’arrêt «Butterfly», le TF se réfère dans ce contexte à l’usage concret du marché, en se basant sur le critère de «l’écart par rapport à ce qui est habituel et attendu dans la catégorie de produits en cause» (ATF 133 III 342, consid. 4 – Récipient d’emballage; 4A_301/2019 consid. 3.3 – Dose ovale).
Examen fondé sur l’intérêt réel du marché
Le TAF propose de suivre la même ligne pour les signes déposés pour des produits et services ayant un contenu thématique, c’est-à-dire de procéder à un examen basé sur l’usage effectif ou prévu, en se fondant sur l’intérêt réel du marché.
Les produits et services ayant un contenu thématique sont achetés avant tout pour leur contenu immatériel. Or, le marché doit avoir la possibilité de communiquer aux acheteurs une caractéristique non visible, mais essentielle de ces produits/services. Cela est d’autant plus important lorsque le nombre de produits concurrents sur le même thème est élevé, qu’il existe donc une demande actuelle réelle et qu’il n’existe pas d’alternatives appropriées. Une marque ne doit pas entraver la satisfaction de cette demande. Le besoin de libre disponibilité s’examine à l’aune de cette demande.
Le lien thématique n’est pas suffisamment déterminé
La jurisprudence nie le caractère distinctif des marques pour des produits tels que des revues, des supports de données et d’autres médias qui se limitent de manière reconnaissable à des références directes au sujet qui y est traité, mais pas déjà à chaque fois qu’un lien thématique peut être établi entre la marque et le produit ou le service. Celui-ci doit au contraire être suffisamment déterminé et reconnaissable sans effort particulier de réflexion ou d’imagination (TAF B-7663/2016 du 21 décembre 2017 consid. 2.5 – Super Wochenende [fig.]). Pour fonder un refus d’enregistrement, il doit donc y avoir une proximité suffisante entre le signe et le contenu des produits. Cette condition tient compte de l’intérêt du marché réel et permet d’éviter les refus systématiques dus au fait que chaque signe peut en principe décrire un contenu thématique possible.
En l’espèce, ce lien direct n’est pas donné. Un acheteur ne reconnaîtra pas directement, sans autres réflexions ou étapes intermédiaires mentales, que la pomme constitue le contenu des enregistrements sonores, visuels ou cinématographiques. En raison de l’absence de proximité avec le produit, le signe ne peut pas être considéré comme directement descriptif des produits en cause.
Le TAF souligne toutefois que l’enregistrement porte sur l’image de cette pomme concrète et que, si l’image de la pomme était utilisée comme marque pour des médias qui traitent thématiquement de pommes, le signe serait utilisé par la titulaire comme marque figurative et perdrait donc sa protection.
Absence d’intérêt commercial, négation du besoin de libre disponibilité
Le TAF constate que le signe en cause n’est pas typique pour les contenus d’enregistrements sonores, vidéo et cinématographiques et pour les supports de données correspondants. L’IPI n’a pas démontré qu’un nombre important de concurrents souhaiteraient garder à la libre disposition cette présentation de la pomme pour informer le public en lien avec ces produits et qu’il existerait ainsi une demande actuelle à cet égard que la marque entraverait. En raison de l’absence d’indices d’un large usage exclusivement ou de manière déterminante sur les pommes en lien avec ces produits, le TAF part du principe qu’il n’y a pas d’intérêt actuel du marché pour le signe en cause. Le besoin de libre disponibilité est ainsi nié.
En définitive, le TAF admet le recours et enregistre le signe pour les produits revendiqués.
(TAF B-4493/2022 du 26 juillet 2023)