TF, arrêt 4A-587/2021 du 30 août 2022 – imposition notoire, motifs relatifs, risque de confusion admis, recours admis
Art. 2 let. a LPM: Le sondage qui a été scientifiquement conçu et correctement réalisé, tant en ce qui concerne les personnes interrogées que les méthodes utilisées, peut être utilisé pour prouver l’imposition de la marque dans le cadre d’un procès civil et constitue même le moyen de preuve le plus approprié. En l’occurrence, l’imposition des marques de Lindt est notoire.
Art. 3 al. 1 lit. c LPM : Lors de l’examen du risque de confusion avec une marque imposée, et contrairement à ce qui se passe dans d’autres cas relevant de l’art. 3 al. 1 let. c LPM, il n’y a donc pas lieu d’examiner si les signes attaqués reprennent les « éléments originairement distinctifs » des marques antérieures, car ceux-ci n’existent précisément pas. Au contraire, le risque de confusion doit être apprécié en premier lieu sur la base de la force distinctive acquise par l’imposition.
La chocolaterie Lindt & Sprüngli AG est titulaire des deux marques ci-contre enregistrées en tant que marques imposées pour le chocolat en cl. 30.
Il s’agit de marques tridimensionnelles au sens étroit, c’est-à-dire que la marque consiste en la forme tridimensionnelle de la marchandise. Le signe se confond avec l’objet désigné.
Au printemps 2017, Lidl Schweiz AG a mis sur le marché des lapins en chocolat (dont la forme est reproduite ci-contre).
Lindt agit alors devant le Tribunal de commerce du canton d’Argovie en cessation de la violation de ses marques. Reconventionnellement Lidl a fait valoir l’appartenance au domaine public des deux marques de Lindt.
La requête est rejetée. Lindt recourt au TF contre cette décision et obtient gain de cause.
Le TF se prononce d’une part sur la validité des deux marques de Lindt sous l’angle de l’art. 2 let. a LPM et, d’autre part, sur le risque de confusion entre ces marques et les lapins en chocolat de Lidl.
Aptitude des sondages d’opinion pour démontrer l’imposition
Devant l’instance inférieure, Lindt a produit un sondage d’opinion. La Cour argovienne a considéré qu’il s’agissait d’une simple expertise privée, devant être considérée comme une allégation de partie.
Dans l’ATF 141 III 433, le TF avait effectivement donné aux expertises privées le statut de simples allégations de partie. Il a toutefois relativisé cette règle en précisant que les allégations des parties reposant sur une expertise privée sont généralement particulièrement étayées et peuvent éventuellement apporter la preuve en combinaison avec des indices établis par des moyens de preuve (141 III 433 consid 2.6).
D’autre part, la jurisprudence ATF 141 III 433 portait sur des avis médicaux en relation avec une incapacité de travail. Les sondages d’opinion en droit de marques ne sont pas comparables à des expertises médicales. Elles s’appuient sur des paramètres objectifs (statistiques déduites de réponses) que le tribunal peut apprécier. L’auteur d’un sondage d’opinion ne procède pas à une appréciation médicale fondée sur ses propres connaissances techniques, mais rapporte les faits établis par le sondage. Pour ces raisons, le TF a toujours reconnu aux sondages d’opinion l’aptitude à prouver l’usage commercial, pour autant qu’elles reposent sur des sondages conçus scientifiquement et réalisés correctement, et il les a même qualifiées de moyen de preuve le plus sûr (ATF 131 III 121 consid. 8, ATF 130 III 328 consid. 3.5).
Le TF rappelle enfin que le sondage d’opinion est aussi le moyen privilégié par l’IPI dans le cadre de l’enregistrement de marques pour rendre vraisemblable l’imposition. Il ne serait pas cohérent de dénier d’emblée toute valeur probante au même moyen de preuve dans le cadre d’un procès civil en droit des marques. Sur ce point, la procédure administrative devant l’IPI et la procédure civile relevant du droit des marques ne se distinguent que par le degré de preuve, mais pas par la question de leur admissibilité (cf. art. 12 PA et art. 168 al. 1 CPC).
En conclusion, le sondage qui a été scientifiquement conçu et correctement réalisé, tant en ce qui concerne les personnes interrogées que les méthodes utilisées, peut être utilisé pour prouver l’imposition de la marque dans le cadre d’un procès civil, et constitue même le moyen de preuve le plus approprié.
Validité des marques imposées de Lindt
Comme valeur indicative en pourcentage devant être atteinte dans les sondages pour admettre l’imposition d’un signe sur le marché, le Tribunal fédéral a admis dans un cas 2/3 des personnes interrogées (ATF 128 III 441 consid. 1.2 ; cf. aussi ATF 131 III 121 consid. 6 et consid. 7.4). Dans un autre arrêt, qui concernait toutefois le caractère notoirement connu d’une marque, il s’est basé sur une valeur indicative de plus de 50 % en tout cas (ATF 130 III 267 consid. 4.7.3).
En l’occurrence, les résultats des sondages sont très élevés (connaissance active de 94 % ; attribution non assistée de 87 %). Sur cette base, l’instance inférieure aurait dû conclure que la preuve du caractère imposé des deux signes de Lindt avait été apportée.
Au surplus, le TF estime comme un fait notoire que les deux formes (avec les éléments figuratifs) ont non seulement une forte présence sur le marché et une grande notoriété, mais qu’elles sont perçues par une partie très importante du public comme des indications de provenance commerciale. Le fait que les cercles d’acheteurs voient en général en premier lieu dans la forme d’un produit la conception de celui-ci (ATF 130 III 328 consid. 3.5) n’y change rien. L’imposition de ces deux marques est notoire pour le TF qui confirme ainsi leur validité.
Risque de confusion admis
Il y a un risque de confusion au sens de l’art. 3 al. 1 let. c LPM dès lors qu’il y a lieu de craindre que le public concerné se laisse induire en erreur par les similitudes entre les signes et attribue les produits au mauvais titulaire de la marque, ou lorsque le public est en mesure de distinguer les signes, mais qu’il présume de faux rapports en raison de leur similitude (ATF 128 III 96 consid. 2a).
Les produits concernés sont destinés à un large public faisant preuve d’un degré d’attention moyen. En revanche, le positionnement effectif des produits des requérants sur le marché n’est pas déterminant. Le fait que la Lindt propose du chocolat cher et de qualité ou des produits bon marché n’a pas d’importance du point de vue du droit des marques. Contrairement à ce qu’a retenu l’instance cantonale, le fait que les produits soient principalement proposés à la période de Pâques n’est pas de nature à augmenter substantiellement le degré d’attention déterminant, sans quoi il faudrait partir du principe que le public a une capacité de différenciation accrue pour tous les articles de masse ou les denrées alimentaires qui ne sont achetés que de temps à autre ou de manière saisonnière, ce qui n’est pas exact.
Le TF retient une force distinctive accrue des marques de Lindt. A cela s’ajoute que les lapins de Lidl attaqués et les marques de Lindt sont destinés à des produits identiques. La forme des premiers doit donc se distinguer fortement des marques de Lindt pour exclure un risque de tromperie.
Les marques de Lindt ne sont pas originellement distinctives, mais ont acquis leur caractère distinctif en raison de l’imposition dans le commerce. Contrairement à ce qui prévaut dans d’autres cas relevant de l’art. 3 al. 1 let. c LPM, il n’y a donc pas lieu d’examiner si les formes attaquées se sont approprié les « éléments originairement distinctifs » des marques de Lindt, car de tels éléments distinctifs n’existent précisément pas. Au contraire, le risque de confusion doit être apprécié en premier lieu sur la base de la force distinctive acquise par l’imposition (cf. ATF 126 III 315 consid. 6c).
En l’occurrence, les lapins commercialisés par Lindt s’inspirent fortement des représentations que laissent en mémoire les marques de Lindt. Selon l’impression générale, les lapins Lidl éveillent des associations avec la forme enregistrée en tant que marque par Lindt. Dans la mémoire du public pertinent, ces lapins ne peuvent pas être distingués les uns des autres. Compte tenu de la force distinctive forte des marques de Lindt et de l’identité des produits, le TF retient le risque de confusion.
Influence de l’étiquette sur l’impression d’ensemble
Sur les lapins de Lidl est imprimée une étiquette «FAVORINA». Un étiquetage peut, dans certaines circonstances, créer une distinction suffisante par rapport à d’autres produits dotés de caractéristiques similaires. Ce qui est déterminant, c’est de savoir si l’étiquette élimine chez l’acheteur l’impression qu’il s’agit de produits de la même marque et qu’elle écarte ainsi un risque de confusion qui, sinon, devrait être admis. Pour le TF, ce n’est pas le cas en l’espèce. Certes, l’étiquette «FAVORINA» distingue les lapins de Lidl de ceux de Lindt et crée un critère de différenciation supplémentaire. Toutefois, en ce qui concerne les produits alimentaires, on ne peut pas supposer sans autre que l’acheteur d’attention moyenne s’oriente en lisant les inscriptions. Il reconnaîtra les produits qu’il connaît notamment grâce à leur forme et leur présentation. L’étiquette n’élimine donc pas le risque de confusion.
Le TF admet ainsi le recours.