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Swiss Military / Swiss Military

TAF, arrêt B-850/2016 du 22 janvier 2018 – motifs relatifs, risque de confusion entre marques identiques

Art. 3 al. 1 let. a LPM: Contrairement au texte de la disposition, en cas de double identité, le risque de confusion peut être examiné.

Art. 9 al. 1 LPAP: Le terme « Swiss Military » constitue une désignation officielle qui ne peut être utilisée que par la Confédération, quels que soient les produits ou services concernés.

Sur recours déposé par la Confédération suisse, agissant par aramsuisse, le TAF rejette l’opposition déposée par Montres Charmex SA, titulaire de la marque « Swiss Military » (CH 426’567 ; marque opposante), à l’encontre de la marque « Swiss Military » (CH 640’600, marque attaquée) appartenant à la Confédération.

Les deux marques en question sont absolument identiques et sont protégées pour des montres provenant de Suisse en classe 14. Il y a identité absolue entre les deux signes.

Selon l’IPI, dans un tel cas, l’art. 3 al. 1 let. a LPM prévoit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le risque de confusion, et avec celui-ci la force distinctive de la marque opposante. Sur cette base, l’IPI a accepté l’opposition de Montres Charmex SA.

Interprétation de l’art. 3 al. 1 let. a LPM

Le TAF n’entend pas les choses de cette oreille. A la suite d’un raisonnement plutôt acrobatique, il arrive à la conclusion qu’en cas de double identité, le risque de confusion entre les deux signes n’est que présumé, mais il peut être réfuté.

L’interprétation contra verbis legem de l’art. 3 al. 1 let. a LPM (laquelle au demeurant n’est soutenue par aucune doctrine ni aucune jurisprudence) suivie par le TAF se fonde sur différents éléments.

Le TAF prend pour point de départ l’arrêt « Chanel » (ATF 122 III 469). Dans cet arrêt, qui portait sur un cas d’importation parallèle, le TF avait restreint le champ d’application qu’une interprétation strictement littérale aurait conféré à l’art. 3 al. 1 let. a LPM.

Le TAF en déduit que si le TF a renoncé à appliquer cette disposition à des signes identiques détenus par un seul et même titulaire (cas des importations parallèles), pourquoi ne serait-il pas, lui, autorisé à remettre en question le principe même de l’exclusion absolue en cas de double identité, et cela aussi lorsque la marque antérieure et la marque postérieure sont détenues par des titulaires différents.

Dans son message relatif à l’art. 3 LPM, le Conseil fédéral expose ce qui suit:

La lettre a exclu d’emblée de la protection le signe identique à une marque antérieure et destiné aux mêmes produits ou services, indépendamment du fait qu’il existe ou non en l’espèce un risque de confusion.

Malgré ce texte clair, le TAF conclut d’une interprétation historique une « image très mélangée de la volonté du législateur de laquelle on ne peut pas tirer de déductions explicites ».

Il déduit cette position d’une contradiction contenue dans le message relativement aux importations parallèles. Le message indique que la protection absolue conférée par l’art. 3 al. 1 let. a LPM est importante en pratique surtout relativement à la circulation internationale des produits. Or, sous un autre chapitre du même message, le Conseil fédéral indique avoir renoncé à réglementer les importations parallèles afin que le TF puisse conserver sa jurisprudence. Cette contradiction par rapport à la réglementation des importations parallèles justifierait selon le TAF de remettre en cause l’assertion précédente concernant l’exclusion de la protection pour les signes identiques.

D’un point de vue systématique, le TAF considère ensuite que l’art. 3 al. 1 let. a LPM doit s’interpréter à la lumière de l’art. 16 al. 1 ADPIC. Selon cette obligation internationale, en cas de double identité, le risque de confusion est seulement présumé.

Par ailleurs, toujours dans l’interprétation systématique, le TAF considère que les autres lois relatives aux signes distinctifs (en particulier la LPAP) devraient être prises en considération lorsque l’on examine une opposition entre deux signes. Or, si le risque de confusion n’est pas examiné, comme le prévoit l’art. 3 al. 1 let. a LPM, la force distinctive du signe opposant ne l’est pas non plus. Ainsi, ces lois, qui peuvent influencer la force distinctive d’un signe, ne seraient prises en compte dans l’examen.

Fondé sur ces éléments, le TAF interprète l’art. 3 al. 1 let. a LPM ainsi qu’en cas de double identité, l’examen du risque de confusion n’est pas exclu.

A notre avis, le raisonnement du TAF se heurte à plusieurs problèmes, présentés notamment dans le commentaire de Gregor Wild (sic! 6/2018, 313-314) de cette décision.

Qualification des signes en tant que désignation officielle

Sous l’art. 6 de l’ancienne LPAP, le TAF était parvenu à la conclusion que le terme « Swiss Military » était une désignation officielle et que ce signe ne pouvait être utilisé par des tiers qu’en lien avec des produits qui selon leur but, leur fonction ou leurs propriétés ne présentent pas de lien avec l’armée suisse ou le matériel militaire (TAF B-6372/2010 du 31 janvier 2012). Le TAF avait estimé que les montres sont des produits qui font partie du matériel militaire.

Sous le nouvel art. 9 LPAP, le terme « Swiss military » reste une désignation officielle.

Le TAF apporte la précision suivante :  sous l’ancienne LPAP, l’usage des désignations officielle par des tiers était interdite si cet emploi était de nature à faire croire faussement à l’existence de rapports officiels avec la Confédération.

Le nouvel art. 9 LPAP ne prévoit plus ce risque de tromperie. Les désignations officielles sont réservées à la collectivité publique quel que soit les produits et services. L’usage du signe « Swiss Military » en lien avec les montres reste donc, comme auparavant, réservé à la Confédération.

Absence de force distinctive du signe opposant

Fort de son interprétation, le TAF examine enfin le risque de confusion entre les deux signes. Il détermine donc la force distinctive du signe opposant.

Ayant constaté que la titulaire Montres Charmex SA n’avait pas le droit d’utiliser sa marque, l’usage de celle-ci étant exclusivement réservé à la Confédération, le TAF constate que la marque opposante n’a pas de force distinctive.

En conséquence, la marque opposante ne peut s’opposer à la marque attaquée. Le TAF admet ainsi le recours et rejette l’opposition.

Avec cette décision, le TAF laisse ainsi subsister dans le registre deux marques identiques destinées à des produits identiques.

(arrêt B-850/2016 du 22 janvier 2018)

Voir le commentaire de Gregor Wild dans sic! 6/2018, 313-314 de cette décision.

3 thoughts on “Swiss Military / Swiss Military

  1. Premièrement, je vous remercie pour votre compte-rendu et surtout votre analyse. Votre blog est vraiment une source d’information utile.
    S’agissant du cas SWISS MILITARY, l’arrêt du TAF rend en effet bien perplexe. Je pense qu’on n’a pas fini d’en parler.
    Personnellement, c’est une nouvelle occasion pour moi de remarquer les limites de la nouvelle procédure de radiation. En effet, si cette procédure avait inclus d’autres motifs de nullité (à l’instar du système communautaire) que celui du non-usage pour justifier la radiation d’un signe, la Confédération n’aurait-elle pas pu opter pour cette voie et éviter au TAF de poursuivre un raisonnement aussi tortueux pour justifier sa prise de position? La décision désoriente car elle ne se fonde pas sur les bonnes bases et, qui plus est, elle aboutit à la coexistence des deux signes, comme vous le relevez.

  2. Chère Donata,

    Tout d’abord, un grand merci pour les compliments sur le résumé et le blog en général. Il est pour nous précieux de savoir qu’il réponde aux besoins de nos lecteurs.

    Pour ce qui est de l’arrêt en question nous aurons l’occasion de le discuter plus amplement dans un prochain commentaire.

    S’agissant ensuite des motifs de la procédure de radiation, le législateur a décidé de les limiter au défaut d’usage de la marque. Il est vrai qu’il peut exister un intérêt à l’ouvrir à d’autres motifs, comme il existe aussi de nombreux arguments pour justifier une procédure d’opposition qui couvre plus que le simple art. 3 al. 1 LPM, comme c’est également le cas au niveau européen (cf. art. 7 RMU).

    Dans le cas concret, malgré la coextisence des deux marques, la Confédération peut encore demander la radiation de la marque opposante devant les tribunaux civils. L’affaire n’est donc peut être pas encore finie.

    Quant à l’argumentation du TAF, elle soulève à mon avis une question juridique de principe qui pourra dans le futur être en principe portée devant le TF une fois la modification projetée de la LTF entrée en vigueur.

    Avec mes meilleurs messages

    Olivier

  3. Cher Olivier,

    Merci beaucoup d’avoir pris le temps revenir sur mon commentaire aussi rapidement! La Confédération devrait en effet avoir les moyens (légaux mais aussi financiers) de procéder par voie civile. On verra!

    Au plaisir de poursuivre la discussion, peut-être avec de nouveaux développements, prochainement, meilleures salutations,

    Donata

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