TF, arrêt 4A_154/2023 du 17 juillet 2023 – motifs relatifs, action en nullité, risque de confusion admis, absence de preuve d’un accord, recours admis
Art. 3 al. 1 let. c et 52 LPM : Quiconque justifie d’un intérêt juridique peut faire constater par le juge la nullité d’une marque portant à confusion avec la sienne pour des produits ou services similaires.
Art. 8 CC: Le transfert des droits à l’usage d’un signe ne constitue pas une preuve suffisante d’un droit à son enregistrement en tant que marque.
Le TF réforme la décision du Tribunal de commerce zurichois et constate la nullité de la marque «Club X.___» de la défenderesse.
Faits
La plaignante et recourante est exploitante d’hôtels et d’établissements. Elle est titulaire de la marque suisse «X.___», déposée en 1994 dans les classes 41 et 42.
Jusqu’en 2006, elle gérait le «Club X.___» et un restaurant portant le même nom. En 2006, les deux familles détenant la recourante ont souhaité séparer leur patrimoine commun. Une partie des actifs de la recourante a ainsi été scindée et transférée dans une nouvelle société (intimée dans cette procédure). Celle-ci a continué à gérer le « «Club X.___» et son restaurant.
En 2010, elle a déposé la marque suisse «Club X.___» pour différents services des classes 41 et 43, sans consulter la recourante et sans son accord. Des divergences d’opinions quant à la titularité de cette marque ont conduit la plaignante à déposer une action devant le tribunal de commerce du canton de Zurich visant le transfert de la marque litigieuse, subsidiairement sa nullité.
Le Tribunal zurichois a rejeté l’action, considérant que les droits sur la marque litigieuse avaient été transférés à l’intimée dans le cadre de la scission et les parties avaient convenu, au moins implicitement, une coexistence des signes «Club X.___» et «X.___». Ne disposant pas d’un droit sur le signe «Club X.___», la plaignante ne pourrait pas, selon les juges zurichois, se prévaloir d’une cession au sens de l’article 53 LPM. Les juges cantonaux ont estimé, pour les mêmes raisons, que la voie de la nullité basée sur le risque de confusion (art. 3 al. 1 let. c LPM) lui était également close.
La plaignante saisit le Tribunal fédéral. Ce dernier admet le recours au motif que l’instance inférieure a violé les règles sur le fardeau de la preuve. Il revenait à l’intimée de prouver son droit à l’enregistrement d’un signe susceptible de porter à confusion avec la marque antérieure de la recourante, ce qu’elle n’a pas fait.
Conditions de l’action en nullité
L’art. 52 LPM permet à quiconque qui justifie d’un intérêt juridique de faire constater par le juge la nullité d’une marque et d’en demander sa radiation du registre des marques (ATF 136 III 102 consid. 3.1).
Dans ce contexte, la partie demanderesse peut notamment invoquer les motifs relatifs d’exclusion prévus à l’art. 3 LPM (arrêts 4A_28/2021 du 18 mai 2021 consid. 6.1.2 TELLCO / TELL; 4A_265/2020 du 28 décembre 2020 consid. 4.1 Luminart)
Risque de confusion admis
Il existe un risque de confusion entre la marque «X.___» de la recourante et la marque «Club X.___» de l’intimée, qui a été enregistrée pour des services identiques ou similaires. L’intimée ne le conteste pas. Ainsi, la recourante est en principe autorisée, sur la base de sa marque antérieure «X.___», à demander la radiation de la marque suisse «Club X.___», enregistrée ultérieurement, conformément à l’art. 3 al. 1 let. c en relation avec l’art. 52 LPM.
Il appartient alors à l’intimée de prouver qu’elle était autorisée par la recourante à enregistrer le signe «Club X.___», nonobstant le risque de confusion avec la marque antérieure «X.___».
Absence de preuve démontrant l’accord de la recourante à l’enregistrement de la marque litigieuse
L’instance cantonale a déduit la légitimité de l’intimée à enregistrer la marque «Club X.___» d’un transfert des droits sur ce signe (qui n’était pas encore enregistré à l’époque) dans le cadre de la scission du patrimoine.
La recourante fait valoir à juste titre que, par son recours, elle ne s’oppose pas à l’utilisation du signe «Club X.___» par l’intimée en relation avec l’exploitation du club et du restaurant. En revanche, elle s’oppose à son enregistrement en tant que marque.
Or, pour le TF, si le transfert à l’intimée des droits portant sur l’utilisation du signe «Club X.___» par le biais d’une scission est établi, rien ne permet de conclure que ce transfert aurait impliqué une autorisation de déposer le signe non enregistré en tant que marque et d’obtenir ainsi pour l’intimée une position juridique protégée de manière absolue, ce qui va au-delà des droits d’utilisation transférés.
Pour ce faire, et compte tenu de la marque «X.___» qui n’a pas été transférée, il aurait fallu un accord (similaire à un contrat de licence) qui aurait accordé un tel droit à l’intimée.
Selon le TF, le fait qu’une coexistence des deux marques aurait été au moins implicitement admise ne constitue pas de base suffisante pour un tel accord. L’instance cantonale a appliqué un degré de preuve erroné, en ce qu’elle a laissé la plausibilité suffire au lieu de la preuve stricte.
Enfin, le simple fait que le signe «Club X.___» (non enregistré) ait coexisté avec la marque enregistrée de la recourante, tant avant qu’après la scission, ne permet en tout cas pas de conclure, selon les règles de la bonne foi, à une autorisation contractuelle donnée à l’intimée de déposer le signe litigieux en tant que marque, malgré le risque de confusion.
Le TF admet donc le recours. Étant donné que l’intimée n’a établi aucune autorisation contractuelle de faire enregistrer en son nom le signe «Club X.___» en tant que marque, elle supporte les conséquences de l’absence de preuve conformément à l’art. 8 CC. Dès lors que la marque «X.___» est antérieure, la recourante a donc le droit, sur la base de l’art. 3 al. 1 let. c en relation avec l’art. 52 LPM, d’exiger la radiation de la marque «Club X.___».