TF, arrêt 4A_299/2017 du 2 octobre 2017 – action en nullité pour défaut d’usage, force probante de l’expertise privée
Art. 12 LPM: Les services bancaires s’adressent à un cercle de population large. Un usage insuffisant ne peut pas se justifier par le fait que l’offre n’est reconnaissable que pour une clientèle de niche ayant un lien particulier avec le pays étranger dans lequel l’établissement est situé.
Art. 168 CPC: une expertise privée très bien étayée combinée à des indices dûment prouvés peut suffire à rendre vraisemblable un fait (veo: vraisemblable ou preuve?).
Principe de l’art. 12 LPM
L’art. 12 LPM règle les conséquences du non-usage. Le titulaire qui n’a pas utilisé sa marque en lien avec les produits et services enregistrés durant un délai ininterrompu de cinq ans ne peut plus se prévaloir de son droit (art. 12 al. 1 LPM).
Le non-usage d’une marque peut être constaté par le juge civil sur la base d’une demande en radiation (Löschungsklage). Cette action n’est pas expressément mentionnée dans la LPM, mais est reconnue par la jurisprudence. Un intérêt particulier n’est pas requis de la part du requérant.
Celui qui se prévaut du non-usage de la marque d’un tiers doit le rendre vraisemblable. Pour conserver sa marque, le titulaire de la marque attaquée doit alors démontrer qu’il a fait un usage effectif de son signe durant les cinq années précédentes (art. 12 al. 3 LPM).
Depuis le 1er janvier 2017, la radiation pour défaut d’usage peut également être demandée par le biais d’une procédure administrative devant l’IPI (art. 35-35c LPM). Au contraire de la procédure civile, il suffit dans ce cas au titulaire de rendre vraisemblable l’usage de sa marque et non de le prouver (cf. art. 35b al. 1 let. b LPM).
Cas d’espèce
L’intimée (demanderesse en 1ère instance) est une banque dont le siège principal est en Espagne, avec une représentation et une activité en Suisse. Elle est titulaire de la marque IR 1’243’627 «ABANCA (fig.)», dont la protection a été étendue en Suisse en 2015.
La recourante est également une banque. Son siège est en Slovénie. Elle n’a en Suisse ni succursale ni représentation. Elle n’emploie personne dans ce pays et ne bénéficie pas d’une autorisation de la FINMA. Elle est titulaire de deux marques IR 860’561 et 860’632 «ABANKA (fig.)» dont la protection a été étendue en Suisse en 2005.
En janvier 2016, l’intimée a déposé devant le Tribunal de commerce du Canton de Berne une action en constatation de la nullité des deux marques «ABANKA (fig.)». La demande a été admise.
Devant le Tribunal fédéral, la recourante conteste la force probante de l’expertise privée produite par l’intimée et le seuil pour la preuve d’un usage.
Force probante de l’expertise privée
Le TF rappelle que l’expertise privée n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 CPC, mais n’est qu’une allégation de partie1. Néanmoins, le TF précise qu’une expertise privée très bien étayée combinée à des indices dûment prouvés peuvent fournir la preuve d’un fait. Cela vaut d’autant plus lorsque la preuve stricte n’est pas requise, mais que le fait doit seulement être rendu vraisemblable.
En l’occurrence, l’autorité inférieure avait considéré que la combinaison d’un rapport de recherche, agrémenté de la correspondance entre les parties et d’une brève recherche effectuée par l’intimée, et d’indices non contestés (absence d’activité et de publicité en Suisse), étaient suffisants à rendre vraisemblable le non-usage de la marque. Le TF confirme l’appréciation du tribunal bernois.
Examen de l’usage
Le TF rappelle les conditions pour retenir un usage au sens de l’art. 11 LPM. L’usage doit être sérieux, c’est-à-dire que le titulaire doit manifester l’intention de satisfaire toute demande de marchandise ou service, sans qu’il soit toutefois nécessaire qu’un chiffre d’affaire minimum soit atteint. Pour être sérieux, l’usage doit être économiquement raisonnable, un simple usage en apparence ne suffit pas. Enfin, l’usage doit intervenir conformément à la fonction de marque, pour distinguer les produits et services. La marque doit être utilisée de telle façon que le marché y voit un signe distinctif.
En l’occurrence, la cour cantonale a examiné la question de savoir si la recourante effectuait une prospection sérieuse en Suisse.
L’autorité inférieure a constaté que la recourante n’atteignait qu’un cercle très restreint de clients potentiels. L’absence d’offre réelle sur le marché suisse en serait la raison selon les juges bernois. Les services proposés par la recourante ne seraient suceptibles d’être perçus que par les personnes ayant un lien avec la Slovénie. Or, pour la cour cantonale, les clients potentiels de la recourante doivent être cherchés dans un cercle étendu de la population. Il ne se limite pas à un marché de niche axé sur les slovènes en Suisse. Le TF confirme cette approche et rappelle que le cercle des destinataires se détermine selon la nature des produits et services.
Enfin, la cour cantonale a mis en relation l’absence de sérieux de la prospection avec la taille de l’entreprise. Elle a constaté qu’il s‘agissait d’un établissement employant plus de 1’200 personnes et que les services en cause faisaient partie du cœur de l’activité déployée par le recourante. Ce n’est donc pas le caractère modeste de la recourante qui pourrait expliquer son absence de prospection en Suisse.
Le TF confirme que le raisonnement et l’analyse de la cour bernoise ne contreviennent pas aux principes jurisprudentiels relatifs à l’usage. Il rejette donc le recours et confirme la radiation des deux marques de la recourante.
(arrêt TF 4A_299/2017 du 2 octobre 2017)
1 Le TF renvoie ici à l’ATF 141 III 433, arrêt topique rendu sur la question après l’entrée en vigueur du CPC.