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UNIVERSAL GENEVE

TF, arrêt 4A_509/2021 du 3 novembre 2022 – radiation pour défaut d’usage, usage pour l’exportation

Art. 35a et 11 al. 2 LPM: L’usage pour l’exportation vaut usage en Suisse pour autant qu’il soit exclusif (produits destinés exclusivement à l’exportation) durant la période quinquennale de référence. Il n’est en revanche pas requis que l’usage pour l’exportation soit exclusif dès l’enregistrement de la marque. Un usage préalable en Suisse n’empêche pas un usage pour l’exportation pendant la période de référence.

L’intimée, sise à Meyrin (GE), est titulaire des marques «U UNIVERSAL GENEVE (fig.)» et «UNIVERSAL GENEVE (fig.)» enregistrées, respectivement en 1984 pour des Montres en tous genres et leurs parties et de la bijouterie de provenance genevoise (cl. 14) et en 1994 pour Montres, parties de montres, compteurs de sport, réveils, pendulerie et leurs fournitures de provenance genevoise (cl. 9 et 14).

A l’encontre de ces deux marques, la recourante a déposé devant l’IPI une demande de radiation totale pour défaut d’usage en vertu de l’art. 35a LPM. L’IPI a admis ces deux demandes et radié lesdites marques.

L’intimée, titulaire des marques radiées, a recouru contre cette décision devant le TAF, lequel a partiellement admis le recours. Il a constaté que les marques avaient été utilisée durant la période quinquennale pertinente sur des montres à des fins d’exportations exclusivement (art. 11 al. 2 LPM). Il estimé que cet usage, qui portait sur une soixantaine de montres fabriquées en Suisse et vendues à des prix pouvant atteindre plusieurs milliers de francs, avait été rendu vraisemblable pour les deux marques. En lien avec les montres en tous genres de provenance genevoise, il a donc maintenu l’enregistrement des marques. Il a en revanche confirmé leur radiation en lien avec les autres produits (TAF B-2597/2020 du 26 août 2021).

La recourante conteste la décision du TAF. Elle estime qu’un usage exclusivement pour l’exportation ne suffit pas maintenir le droit à la marque. Elle demande la radiation totale de ces deux marques.

Usage pour l’exportation vaut usage en Suisse

Pour pouvoir maintenir son droit à la marque enregistrée, le titulaire doit utiliser celle-ci de façon effective (cf. art. 11 al. 1 LPM). Il n’est pas tenu d’utiliser sa marque dès l’enregistrement: la loi lui laisse un délai de carence de cinq ans (art. 12 al. 1 LPM), qui recommence à courir s’il interrompt ultérieurement cet usage.

L’usage doit se faire en Suisse (ATF 107 II 356 consid. 1c; FF 1991 I 24 ad art. 11). En effet, la marque est protégée en Suisse, champ d’application de la LPM; aussi exige-t-on qu’elle exerce sa fonction distinctive sur ce territoire. Seul un usage public de la marque permet de maintenir le droit. Il ne suffit pas d’appliquer la marque sur le produit ou son emballage, il faut encore qu’elle apparaisse sur le marché suisse et permette de distinguer les produits ainsi estampillés de ceux de la concurrence (ATF 100 II 230 consid. 1b.; 101 II 293 consid. 1; 113 II 73 consid. 2a).

L’ancienne LPM ne contenait pas de régime spécial pour les marques d’exportation, et le Tribunal fédéral ne l’a pas introduit par voie prétorienne. Finalement, le législateur a répondu à la demande des milieux industriels (FF 1991 I 24) en insérant l’art. 11 al. 2 in fine LPM, lequel assimile « l’usage pour l’exportation » (…) à l’usage de la marque » en Suisse. Cette règle tient compte du fait que les produits destinés exclusivement à l’exportation ne peuvent pas satisfaire à l’exigence d’une commercialisation en Suisse. Pour retenir un usage propre à assurer un maintien de la marque, il faut, mais il suffit d’apposer celle-ci en Suisse sur les produits (ou leur emballage) destinés exclusivement à l’exportation. Le principe est le même qu’en droit européen.

Pour bénéficier de la protection, la marque d’exportation doit aussi être utilisée dans le commerce, mais à l’étranger. Comme pour toute marque, l’usage doit être sérieux. L’on peut se fonder notamment sur l’offre, le nombre de ventes réalisées à l’étranger, la durée de l’usage et son étendue géographique.

Usage destiné exclusivement à l’exportation

Durant la période de référence, l’intimée a utilisé ces marques uniquement pour l’exportation, sans les vendre en Suisse. Cependant, auparavant, la titulaire avait commercialisé des montres en Suisse. Le recourante fait valoir que cet usage en Suisse précédant la période de référence empêcherait de retenir une marque à l’exportation au sens de l’art. 11 al. 2 in fine LPM. D’après sa compréhension de la loi, il faudrait respecter l’exigence d’exclusivité dès le début de la protection.

Bien que l’art. 11 al. 2 in fine LPM ne fasse pas état d’une quelconque exclusivité en relation avec l’usage pour l’exportation, tant le Message du Conseil fédéral que la doctrine et la jurisprudence parlent de produits destinés exclusivement à l’exportation, de pure marque d’exportation (reine Exportmarke), ou précisent que le titulaire d’une telle marque n’est par définition actif qu’à l’étranger (cf. FF 1991 I 2 et 24; TF 4A_515/2017 consid. 2; ATF 147 III 98 consid. 4.3.3).

Le droit européen, dont le législateur suisse a voulu s’inspirer contient une précision en ce sens. Ainsi, l’art. 18 ch. 1 du Règlement sur la marque de l’Union européenne exige « l’apposition de la marque (…) sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’Union dans le seul but de l’exportation » (ch. 1 let. b du Règlement [UE] 2017/1001 du 14 juin 2017, publié au Journal officiel de l’Union européenne du 16 juin 2017, L 154/1).

Le TF confirme ici l’interprétation du TAF: la condition de l’exclusivité ne porte que sur la période de référence. En revanche, il n’est pas requis du titulaire qu’il choisisse un modèle commercial (marché suisse ou exportation) au moment de l’inscription et qu’il s’y tienne. La marque d’exportation ne constitue pas un type de marque, comme le sont les marques verbales, figuratives ou combinées. La LPM ne subordonne pas non plus l’application de l’art. 11 al. 2 in fine LPM à une mention dans le registre précisant que la marque est destinée à l’exportation. Au contraire, le législateur laisse au titulaire une certaine souplesse dans l’utilisation de sa marque en lui accordant un délai de grâce de cinq ans pour définir ou réajuster son modèle commercial sans préjudice pour son droit à la marque. Il faut, mais il suffit que le titulaire fasse un usage de la marque reconnu par l’art. 11 al. 1 ou al. 2 LPM.

Ainsi, il importe peu que les deux marques aient jadis été commercialisées en Suisse puis qu’elles soient apparues sur le marché étranger uniquement. L’utilisation préalable en Suisse n’empêche pas de retenir, pendant la période de référence, un « usage à l’exportation » qui a été fait de façon à sauvegarder la protection des marques. Le recours est ainsi rejeté.

(TF arrêt 4A_509/2021 du 3 novembre 2022)

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