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SHELBY

TAF, arrêt B-3745/2022 du 27 février 2024 – radiation pour défaut d’usage, usage par un tiers admis, recours admis 

Art. 11, 12, 35a LPM – L’usage par un licencié constitue un usage valable au sens de la LPM, à condition qu’il soit prouvé de manière crédible et documentée. Tel est le cas lorsque le titulaire de la marque attaquée a conclu avec un tiers un contrat de licence exclusive, sans possibilité de sous-licence, prévoyant une redevance annuelle ainsi que diverses clauses relatives au contrôle, à la coopération et à la défense de la marque.

Le «Carroll Hall Shelby Trust» a déposé devant l’IPI une demande de radiation pour non-usage de la marque suisse n° 637051 «SHELBY», enregistrée notamment pour des véhicules (cl. 12), des montres (cl. 14), des vêtements (cl. 25) et des jouets (cl. 28). L’IPI a admis la demande pour toutes les classes. INTELPRO AG, titulaire de cette marque, a formé un recours limité à la classe 14. Elle obtient gain de cause.

Examen du non-usage

Selon l’art. 12 al. 1 LPM, le titulaire d’une marque qui ne l’utilise pas pendant cinq ans, sauf motif légitime, perd son droit à la marque. Le non-usage peut être invoqué par tout tiers cinq ans après la fin de la procédure d’opposition (art. 35a LPM).

Le fardeau de la vraisemblance du non-usage incombe à la partie demanderesse. Une preuve directe étant difficile, la jurisprudence admet que la vraisemblance peut être établie sur la base d’un ensemble d’indices (consid. 3.4, TF 4A_464/2022 du 3 janvier 2023 consid. 3.2 «TRILLIUM»).

Les rapports de recherches d’usage établis par des tiers spécialisés sont considérés comme des moyens de preuve valables. Bien qu’ils ne soient pas équivalents à des expertises judiciaires, ils bénéficient d’un degré élevé de force probante lorsqu’ils sont étayés par d’autres indices concordants (TF 4A_299/2017 du 2 octobre 2017 consid. 4.1 «Abanca [fig.]/Abanka [fig.]» ; TAF B-2382/2020 consid. 2.6 «PIERRE DE COUBERTIN»).

En l’occurrence, la demanderesse a produit un rapport de recherche d’usage détaillé, jugé suffisamment complet par la cour, rendant vraisemblable le non-usage de la marque «Shelby». Ce rapport comprenait une analyse du site internet de la titulaire de la marque, des recherches via des moteurs de recherche et des contacts téléphoniques avec divers distributeurs ou sociétés potentiellement impliqués dans la vente de produits portant la marque «Shelby».

Preuve de l’usage

Pour que l’usage d’une marque soit qualifié de conservatoire (rechtserhaltend) au sens de l’art. 11 LPM, il doit répondre à plusieurs critères : il doit être sérieux, effectué dans le commerce, sur le territoire suisse ou orienté vers celui-ci (par exemple via l’exportation), en lien avec les produits ou services revendiqués, et conforme aux pratiques économiques du secteur concerné.

Un usage sérieux vise à satisfaire une demande du marché de manière continue et non simplement à conserver artificiellement un droit (TF 4A_464/2022 «TRILLIUM» ; TF 4A_299/2017 «Abanca»). Le TF n’exige pas un seuil minimal de chiffre d’affaires, mais une activité économiquement significative selon les usages du secteur. Ainsi, pour des produits de luxe, une faible quantité peut suffire, alors qu’un usage plus intensif est requis pour des biens de consommation courante.

L’usage purement publicitaire ou la simple présence d’un produit sur un site internet ne constitue pas un usage suffisant. Il faut démontrer une activité effective, comme des visites de clients suisses sur les pages web ou des ventes réalisées en Suisse (TF 4A_253/2008 «Gallup»).

Enfin, l’usage réalisé par un tiers, comme un licencié, peut être pris en compte s’il est effectué avec le consentement du titulaire de la marque. Cela concerne notamment les sociétés affiliées, les distributeurs ou les licenciés officiels (TF 107 II 356 «La San Marco» ; TAF B-5543/2012 «six/sixx»).

Usage conservatoire par un tiers

La recourante fait valoir que la marque «Shelby» a été utilisée par une société tierce, A._______, en vertu d’un contrat de licence qui autorisait explicitement l’usage de la marque en question pour des montres.

Le contrat prévoit une licence exclusive, sans possibilité de sous-licence, avec une redevance annuelle et diverses clauses relatives au contrôle, à la coopération et à la défense de la marque. Il a aussi pour fonction de mettre fin à un litige antérieur entre les parties. La recourante y est désignée comme propriétaire de la marque et la licence couvre clairement le marché suisse.

Contrairement aux arguments de la demanderesse à la radiation, qui soutenait qu’il s’agissait d’un simple accord transactionnel sans intention réelle d’usage, le Tribunal reconnaît dans ce contrat une licence typique, dotée des éléments essentiels (objet, durée, rémunération, contrôle, coopération), qui remplit les conditions d’un usage autorisé par un tiers.

Usage conservatoire sérieux

La recourante produit des captures d’écran de sites internet présentant plusieurs modèles de montres marqués «Shelby». Le TAF juge que cette utilisation correspond à un usage à titre de marque, dans une forme non substantiellement différente de l’enregistrement.

Elle apporte également des factures émises par A._______ entre décembre 2017 et avril 2020, portant sur la vente d’environ 90 montres «Shelby» à des détaillants, notamment des bijouteries suisses reconnues. Le prix de vente unitaire, compris entre CHF 1’500 et 2’500, ainsi que le volume et la durée des ventes, permettent de conclure à un usage sérieux et économiquement significatif, conforme aux standards du secteur horloger de luxe (cf. TF 4A_464/2022 «TRILLIUM»).

Concernant la territorialité, environ un tiers des factures présentent des adresses suisses non masquées, émanant de distributeurs bien établis. Les autres sont partiellement anonymisées, mais toutes sont établies en francs suisses et incluent la TVA helvétique, ce qui suffit, au regard du standard de la vraisemblance, à démontrer un usage en Suisse.

Le TAF conclut donc que l’usage de la marque «Shelby» en lien avec les montres a été rendu vraisemblable de manière suffisante, tant dans son intensité que dans son étendue territoriale. Il admet ainsi que le recours. La marque «Shelby» reste donc inscrite au registre suisse pour les montres et instruments de mesure du temps (classe 14).

(Arrêt TAF B-3745/2022 du 27 février 2024)

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