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(fig.) « Hirsch »

TAF, arrêt B-1440/2019 du 5 février 2020 – motifs absolus, symbole religieux, contrariété aux bonnes mœurs niée

Art. 2 let. d LPM : En raison des multiples utilisations non religieuses de la croix chrétienne, son symbolisme religieux n’apparaît pas nécessairement au premier plan. Il convient d’examiner au cas par cas si la commercialisation de la croix en tant que marque peut porter atteinte aux sentiments religieux. Le simple fait qu’une marque contienne une croix ne justifie pas de l’exclure de la protection pour des raisons d’immoralité.

Art. 2 let. d LPM : Étant donné que la moralité est un concept susceptible d’évoluer avec le temps, un symbole religieux peut perdre sa signification originelle suite à un usage intensif, de la même manière qu’un terme appartenant au domaine public (imposition selon l’art. 2 let. a LPM) ou qu’un terme trompeur (secondary meaning selon l’art. 2 let. c LPM).

Le TAF admet le recours formé par la société Mast-Jägermeister SE contre le refus par l’IPI d’étendre à la Suisse la protection de son signe «(fig.) « Hirsch »» (IR 1’311’081).

Le signe est déposé pour divers produits et services en classes 3, 9, 11, 12, 14-16, 18, 24-28, 32-35. 38, 39, 41-43.

La marque figurative en question contient une croix chrétienne.

Jägermeister

L’IPI a considéré que cette croix constituait un symbole central de la foi chrétienne et que son utilisation à des fins commerciales pourrait heurter les sensibilités religieuses. Il a donc refusé le signe pour la plupart des produits et services revendiqués, à l’exception des produits en lien avec lesquels une référence religieuse pouvait être retenue et ceux que le public était habitué à voir utilisés commercialement avec un symbole chrétien, à savoir notamment les articles de bijouterie (cl. 14), les figurines (cl. 20 et 21) et les bières (cl. 32) et boissons (cl. 33).

Rappel des principes

Dans le cas des noms et symboles religieux, ce n’est pas le contenu en soi qui est susceptible de heurter la sensibilité d’une communauté religieuse, mais l’utilisation du symbole dans un but commercial (ATF 136 III 474 – Madonna (fig.)).

Le motif de refus fondé sur l’atteinte aux bonnes mœurs ne concerne pas tous les signes religieux. Seuls les signes auxquels la religion concernée attribue une signification centrale et dont l’usage commercial est susceptible de heurter le sentiment religieux des adeptes de cette religion sont contraires aux bonnes mœurs (ATAF 2018 IV/7 – (fig.) “poisson/Ichtus”).

L’appréciation du motif d’exclusion de l’atteinte aux bonnes mœurs ne s’effectue pas en prenant en considération la perception du signe par les différents cercles des destinataires des produits et services désignés, mais sur la base de sa perception par les adeptes de la religion concernée (ATAF 2018 IV/7 – (fig.) “poisson/Ichtus”).

En principe, des éléments supplémentaires au symbole religieux peuvent réduire son caractère attentatoire aux bonnes mœurs ou modifier sa compréhension par le public. Ils peuvent ainsi contribuer à ce que, dans l’impression d’ensemble, le signe soit éligible à la protection en tant que marque.

Le poids accordé à la nature des biens et services revendiqués et aux autres éléments du signe dans l’impression générale est proportionnel à l’importance du signe religieux pour la communauté concernée.

Evolution du contenu religieux de la croix et son « imposition »

Le TAF estime qu’avec le temps la signification de la croix s’est diversifiée et son contenu religieux s’est dilué. Aujourd’hui, la croix n’est plus uniquement une référence religieuse. Elle est aussi un symbole laïque et culturelle. En raison de ses multiples utilisations non religieuses, son symbolisme sacré et religieux n’apparaît pas nécessairement au premier plan.

Le TAF reconnaît néanmoins que la croix a conservé sa signification religieuse et sa position centrale dans la liturgie. Les sentiments religieux des membres de la communauté chrétienne doivent être respectés et les signes qui y portent atteinte doivent être exclus de la protection des marques (ATF 136 III 474 – Madonna (fig.)). Toutefois, il convient d’examiner au cas par cas si la commercialisation de la croix en tant que marque peut porter atteinte aux sentiments religieux. Le simple fait qu’une marque contienne une croix ne justifie pas de l’exclure de la protection pour des raisons d’immoralité.

En l’espèce, le TAF retient que la recourante utilise le logo contenant une croix chrétienne placée entre les bois d’un cerf dans divers signes et marques depuis 1935. Selon le TAF, le public est habitué à la représentation de la croix dans ce contexte et l’associe à la recourante. Il n’est donc pas atteint dans ses sentiments religieux.

Se référant à la décision Apple (ATF 145 III 178, consid. 2.3.3), le TAF estime que l’usage intensif de la croix dans les marques de la recourante a fait passer le caractère religieux du signe contesté au second plan. Cet usage intensif a entraîné une modification de la signification de la croix.

Le TAF ajoute qu’étant donné que la moralité est un concept susceptible d’évoluer avec le temps, il est justifié d’envisager la possibilité d’une modification de signification suite à un usage intensif dans le cadre de l’art. 2 let. d LPM,  de la même manière qu’elle peut avoir lieu dans le cadre de l’art. 2 let. a (imposition) et de l’art. 2 let. c LPM (secondary meaning).

En conséquence, le TAF décide que les sentiments religieux des chrétiens ne sont pas heurtés par la marque litigieuse car ils se sont habitués à cet usage de la croix. Cela s’applique non seulement aux boissons alcooliques à base de plantes, pour lesquels la marque figurative est notoirement reconnue, mais aussi au signe lui-même (voir ATF 145 III 178 – Apple). La combinaison de la croix avec le cerf, un animal à connotation positive, et le halo de rayons ne représentent pas la croix de manière blessante ou irrévérencieuse, c’est pourquoi la marque litigieuse n’est pas attentatoire aux bonnes mœurs. Elle peut être acceptée sous l’angle de l’art. 2 let. d LPM.

Le TAF admet ainsi le recours.

(TAF B-1440/2019 du 5 février 2020)

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