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BVLGARI

TAF, 2020 IV/7, arrêt B-151/2018 du 4 février 2020 – motifs absolus, indication de provenance, absence de risque de tromperie, non-appartenance au domaine public

Art. 2 let. c et 47 al. 2 LPM : Un nom géographique qui s’est imposé dans l’esprit du public comme le nom d’une entreprise déterminée constitue l’une des six exceptions à la règle d’expérience. Peu importe qu’il se soit imposé comme marque au sens de l’art. 2 let. a LPM. Il ne suffit toutefois pas que ce signe se soit imposé pour écarter le risque de tromperie. Pour pouvoir être protégé à titre de marque, ce nom géographique doit avoir acquis un secondary meaning, c’est-à-dire une seconde signification propre qui est à ce point prédominante qu’un risque de tromperie quant à la provenance géographique peut pratiquement être exclu.

En l’espèce, vu notamment le degré de connaissance hors du commun dont jouit le signe «BVLGARI» en lien avec les produits de parfumerie (cl. 3), les lunettes (cl. 9), la joaillerie, bijouterie et les montres (cl. 14) et la maroquinerie (cl. 18), la relative faiblesse du rapport qui peut être établi entre l’élément «BVLGARI» et l’Etat de Bulgarie, le fait que la Bulgarie n’est pas réputée pour les produits et services en cause, la graphie particulière de l’élément «BVLGARI» et le phénomène de diversification de l’offre des entreprises, il est difficilement imaginable que l’élément «BVLGARI» soit perçu comme une référence à l’Etat de Bulgarie en lien avec les produits et les services revendiqués si bien que l’acquisition d’un secondary meaning est admis.

Le TAF admet le recours de Bulgari S.p.A., contre la décision de l’IPI refusant l’enregistrement des marques verbales «BVLGARI» (CH 55832/2017 ; IR 1’290’822) et «BVLGARI VAULT» (CH 52787/2015) pour presque tous des produits de la classe 9 revendiqués et tous services en classes 35, 36, 38, 42 et 43.

«BVLGARI» est un nom géographique

A l’exception des logiciels et programmes d’ordinateur en classe 9, l’IPI a refusé les enregistrements demandés au motif que l’élément «BVLGARI» ne s’écarte pas suffisamment, en langue française, du nom de pays «Bulgarie». En outre, le nom italien «bulgari» se réfère aux habitants de la Bulgarie («Bulgares» en français) ; quant à l’adjectif italien «bulgari», il correspond à l’adjectif français masculin pluriel «bulgares».

Par conséquent, l’IPI est parti du principe que le terme «BVLGARI» constituait une indication de provenance et que les signes en cause étaient de nature à induire en erreur si les services revendiqués ne proviennent pas de Bulgarie.

Le TAF reconnaît qu’en raison de la grande proximité entre la forme des lettres «V» et «U» et l’existence, dans les principales langues pratiquées en Suisse, de divers termes courants contenant la suite de lettres «BULGARI» et se référant à l’Etat de Bulgarie, le terme «BVLGARI» est susceptible d’être mis en relation avec l’Etat de Bulgarie. Le TAF considère donc ce terme comme un nom géographique.

Tout nom géographique entraîne l’application de la règle d’expérience. Cette règle prévoit qu’un signe qui contient un nom géographique ou se compose exclusivement d’un nom géographique incite habituellement à penser que le produit ou le service en relation avec lequel il est utilisé vient du lieu en question.

Le TAF examine donc si – à titre d’exception à la règle d’expérience – l’élément «BVLGARI» figurant dans les signes en cause n’est pas compris comme une indication de provenance.

Le principe de l’imposition et du secondary meaning

Le TAF rappelle que le cas du «nom géographique [qui] s’est imposé dans l’esprit du public comme le nom d’une entreprise déterminée» (cf. ATF 135 III 416 consid. 2.6.4 – CALVI [fig.]) constitue l’une des six exceptions à la règle d’expérience identifiées par la jurisprudence dans la mise en œuvre de l’art. 47 al. 2 LPM.

Au regard de l’art. 2 let. c LPM peu importe que ce nom se soit aussi imposé comme marque au sens de l’art. 2 let. a in fine LPM. Seul est en effet pertinent le fait que, au sens de l’art. 47 al. 2 LPM, un nom géographique ne soit pas considéré par les milieux intéressés comme une référence à la provenance des produits ou services.

Lorsqu’il s’agit de déterminer si un signe est propre à induire en erreur, il ne suffit toutefois pas que ce signe se soit imposé pour qu’il puisse être protégé (cf. ATAF 2015/49 consid. 7.2 – LUXOR; arrêt du TAF B-2150/2019 du 8 octobre 2019 consid. 7.1 – esmara see you IN PARIS [fig.]).

En effet, l’imposition d’un signe comme marque n’exclut pas que ce signe reste perçu comme une indication de provenance et induise en erreur en ce qui concerne la provenance géographique au sens de l’art. 2 let. c LPM. Ce n’est dès lors qu’à titre exceptionnel qu’un nom géographique qui s’est imposé comme marque n’est pas exclu de la protection au sens de l’art. 2 let. c LPM.

Pour pouvoir être protégé à titre de marque, ce nom géographique doit en effet avoir acquis un secondary meaning, c’est-à-dire une seconde signification propre qui est à ce point prédominante qu’un risque de tromperie quant à la provenance géographique peut pratiquement être exclu.

Le TAF confirme en outre qu’aux fins de déterminer si un signe est doté d’un secondary meaning, il se justifie d’appliquer les exigences en matière d’imposition d’un signe comme marque au sens de l’art. 2 let. a in fine LPM avec une rigueur particulière.

Examen du secondary meaning

En premier lieu, le TAF examine le degré de connaissance de la marque «BVLGARI». Sur la base des différents indices ci-dessous, il arrive à la conclusion qu’elle jouit d’un degré de connaissance hors du commun.

  • Cette marque est plus de centenaire. Elle jouit d’une grande renommée et de prestige, en particulier dans le domaine de l’horlogerie et de la bijouterie, notamment auprès des amateurs d’objets de luxe. Sous cette marque sont commercialisés depuis plusieurs dizaines d’années des articles de parfumerie, des foulards, de la maroquinerie et de la lunetterie, puis depuis une vingtaine d’années, l’exploitation d’hôtels.
  • La titulaire développe ses activités commerciales en Suisse depuis la fin du 19ème siècle et y réalise actuellement un chiffre d’affaire important. Elle est notamment titulaire de la marque suisse no2P-341’021 « BVLGARI (fig.) » enregistrée sans limitation en 1985 pour divers produits des classes 3, 4, 9, 14, 16, 18, 20, 21, 24, 25 et 34.
  • Le TAF souligne enfin que l’IPI enfin a retenu que le signe «BVLGARI» pouvait se prévaloir d’un secondary meaning en lien avec les savonset produits de parfumerie (cl. 3), les lunettes (cl. 9), la joaillerie, bijouterie et les montres (cl. 14) ainsi que la maroquinerie (cl. 18).

En second lieu, le TAF examine les différents éléments propres au cas d’espèce susceptibles d’accentuer ou au contraire de réduire l’attente quant à la provenance géographique créé par le terme « BVLGARI ». Il retient à cet égard que

  • l’élément «BVLGARI» ne contient aucune indication qui permettrait de confirmer une référence à la Bulgarie. Il ne présente notamment pas de caractéristique typique de la langue bulgare. Dans les signes en cause, il n’est accompagné d’aucun élément verbal ou figuratif qui, d’une manière ou d’une autre, se rapporterait à l’Etat de Bulgarie.
  • qu’il n’y pas de rapports particuliers entre l’Etat de Bulgarie, d’une part, et les produits et les services revendiqués en l’espèce, d’autre part. La Bulgarie ne jouit pas d’une réputation particulière pour les produits et services revendiqués, si qu’il n’y a pas lieu ici de faire preuve de la rigueur particulière qui s’impose en cas d’indication de provenance qualifiée.
  • enfin, que le niveau des importations suisses en provenance de Bulgarie est relativement faible.

Ainsi, selon le TAF, rien ne contribue réellement à asseoir le fait que l’élément «BVLGARI» constitue une référence à l’Etat de Bulgarie.

En dernier lieu, le TAF souligne la mutilation de l’élément «BVLGARI», orthographié avec une lettre « V » (et non pas avec une lettre « U ») par rapport au terme «Bulgarie». Pour le TAF, cette graphie particulière et omniprésente dans les marques de la recourante contribue à ce que l’élément « BVLGARI » soit compris non pas comme une référence (géographique) à l’Etat de Bulgarie, mais comme une référence (commerciale) à l’entreprise de la recourante.

Même si les produits et les services revendiqués en l’espèce (cl. 9, 35, 36, 38, 42 et 43) ne sont pas proches des produits en cl. 3, 9, 14 et 18 en lien avec lesquels les signes peuvent se prévaloir d’un secondary meaning, le TAF, à la différence de l’IPI, conclut qu’en raison de la diversification progressive de l’offre proposée par la titulaire de la marque, un secondary meaning peut également être reconnu pour ces produits et services.

Pour le TAF, les signes «BVLGARI» et «BVLGARI VAULT» peuvent dès lors se prévaloir d’un secondary meaning et ne sont pas compris comme des indications de provenance. Les signes peuvent être enregistrés sans limitation au regard de l’art. 2 let c LPM.

Domaine public

Dès lors qu’un secondary meaning est reconnu à l’élément «BVLGARI», qui n’est, au sens de l’art. 47 al. 2 LPM, pas considéré comme une référence à la provenance des produits et des services en cause, l’élément «BVLGARI»  est doté de force distinctive.

En raison de sa graphie particulière, l’élément «BVLGARI» n’est soumis ni à un besoin de libre disposition relatif ni à un besoin de libre disposition absolu.

Le TAF admet ainsi le recours et permet l’enregistrement des signes à titre de marques sans limitation de la liste des produits et services.

(TAF B-151/2018 du 4 février 2020)

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