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Commentaire de l’arrêt TAF B-5004/2014 – CLOS D’AMBONNAY

L’arrêt CLOS D’AMBONNAY fait l’objet d’un résumé disponible ici.

En bref, cet arrêt prévoit qu’un signe qui contient une indication de provenance étrangère et qui est enregistré dans le pays d’origine ne relève pas du domaine public, si la liste des produits et de services est limitée à la provenance donnée. Peu importe que le signe soit dans cette constellation doté d’un caractère distinctif.

Cet arrêt appelle plusieurs commentaires.

1. Conséquences sur les marques géographiques

Comme déjà exposé dans notre article consacré à la marque géographique, cet arrêt suggère qu’à certaines conditions, le motif absolu d’exclusion au sens de l’art. 2 let. a LPM ne s’applique pas aux indications de provenance étrangère. Or, cela crée à notre avis une inégalité de traitement entre les indications de provenances suisses et étrangères, les premières ne pouvant pas faire l’objet d’une marque ordinaire, mais seulement d’une marque géographique. On rappellera que cette catégorie de marques confère à son titulaire des droits réduits par rapport aux autres catégories de marques.

2. Nouvelle jurisprudence ou arrêt isolé?

a) Double composante du domaine public

L’arrêt MONTPARNASSE sur lequel le TAF fonde sa décision date de 1991. Si, à cette date, la notion de domaine public correspondait déjà à celle qui est aujourd’hui retenue, force est de constater qu’elle s’est largement développée depuis lors.

En particulier, Mon Repos a souvent répété, ces dernières années, que la notion de domaine public comptait deux composantes qui devaient être examinées de manière séparée et qui ne sont pas synonymes (cf. TF 4A_434/2009, consid. 3.1 – RADIO SUISSE ROMANDE; ATF 139 III 176, consid. 2 – YOU). Il s’agit, d’un côté, du caractère distinctif et, de l’autre, du besoin de disponibilité.

En se limitant à examiner le signe sous l’angle du besoin de disponibilité, le TAF s’inscrit certes dans la jurisprudence Montparnasse, mais s’écarte explicitement de la jurisprudence développée depuis lors en matière de domaine public.

b) Concordance avec la jurisprudence relative aux indications de provenance étrangère

Le TAF motive sa décision en tirant des conjectures de ce qu’aurait fait le TF dans le cas de l’arrêt « Wislon » dans l’hypothèse où l’indication « Wilson » aurait été un nom géographique connu.

Or, il ressort clairement de l’arrêt « Wilson » que la notion de domaine public comprend les deux composantes susmentionnées (cf. TF 4A_6/2013, consid. 3 et 4). En outre, à notre avis, dans cet arrêt, l’enregistrement du signe à l’étranger n’a été pris en considération uniquement dans l’examen du besoin de disponibilité, et aucunement dans celui du caractère distinctif (cf. TF 4A_6/2013, consid. 4.1).

De surcroît, dans l’arrêt CHAMP, le TF, dans une composition à cinq juges, a indiqué que l’enregistrement d’une indication de provenance étrangère dans le pays d’origine ne joue un rôle que s’agissant du besoin de disponibilité. Concernant l’examen des autres motifs d’exclusion (en l’occurrence la contrariété au droit en vigueur selon l’art. 2 let. d LPM), le TF a rappelé que c’est exclusivement la perception du signe par les milieux intéressés suisses qui est déterminante (TF 4A.14/2006, consid. 3.4).

Nous relevons enfin que les considérant de l’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » et l’interprétation de la décision « Wilson » (TF 4A_6/2013) faite par le TAF dans cet arrêt s’écartent des principes retenus dans l’arrêt MEISSEN du 8 juillet 2016. Dans cet arrêt, le TAF a en effet considéré que l’indication « Meissen » était connu3 des milieux intéressés suisses et constituait de fait une indication de provenance directe dénuée de caractère distinctif (cf. TAF B-6363/2014, consid. 6 – MEISSEN). Une limitation de la liste des produits à la provenance de Meissen (Allemagne) a été exigée (ibidem, consid. 9). Le TAF n’a pris en considération l’enregistrement du signe dans l’Union européenne que s’agissant de l’examen du besoin absolu de disponibilité (ibidem, consid. 7.1, avec la référence à TAF B-7256/2010, consid. 7.1 – Gerresheimer).

Au regard de ce qui précède, l’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » apparaît donc comme une décision isolée.

3. Importance de l’examen du caractère distinctif au regard de la perception par le public suisse

Les considérants de l’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » impliquent que les autorités suisses seraient liées par l’enregistrement dans le pays d’origine d’un nom géographique indépendamment de la perception de ce signe par le public suisse.

Un tel principe irait à l’encontre de la jurisprudence constante selon laquelle l’enregistrement d’un signe à l’étranger ne lie pas les autorités suisses (TF 4A_261/2010, consid. 4.1 – V (fig.) ; ATF 130 III 113, consid. 3.2 – MONTESSORI). Chaque Etat examine en effet les signes qui lui sont soumis non seulement à la lumière de sa propre législation, mais également en fonction de la perception de ses milieux intéressés (cf. ATF 135 III 416, consid. 2.1 – CALVI (fig.); TF 4A.14/2006 consid. 3.4 – CHAMP). Encore une fois, un enregistrement à l’étranger n’est pertinent que pour l’examen du besoin absolu de libre disponibilité.

En outre, l’adoption d’un tel principe conduirait à enregistrer des signes en violation de l’art. 2 lat. a LPM.

Une recherche sur la base de données des marques TMView permet de constater que la France a, par exemple, enregistrée la marque suivante pour de la bière (cl. 32):


Admettons que le titulaire de cette marque demande la protection en Suisse de cet enregistrement en relation avec des bières provenant de Colmar (ou de France). L’IPI devrait, selon ce principe, enregistrer cette marque. Le fait que la marque soit distinctive ou non ne joutait aucun rôle.

Or, il paraît évident que les milieux intéressés suisses connaissent cette ville alsacienne, de sorte qu’ils verront dans le signe COLMAR (fig.) précité un renvoi à la provenance géographique des produits, mais nullement celui à une entreprise déterminée.

Si on peut admettre que la perception du public suisse n’est en soi pas fondamentalement différente de celle du public des pays voisins parlant l’une ou l’autre des langues nationales suisses, il en va différemment dans les pays éloignés dont la langue est totalement différente.

En effet, par exemple, on peut partir du principe que le consommateur moyen coréen de produits de parfumerie (cl. 3) ne comprendra pas le signe la signification du signe « EAU DE COREE ». En revanche, il semble évident que le public suisse ne perçoit pas dans ce signe un renvoi à une entreprise déterminée.

Cependant, à suivre le raisonnement du TAF, l’IPI devrait enregistrer le signe pour des produits de la cl. 3 de provenance coréenne, dans lors que le déposant d’un tel signe limite la provenance des produits à la Corée.

On le voit, le raisonnement du TAF tel qu’il ressort de l’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » aboutit à des résultats qui ne sont pas satisfaisants.

4. Questions ouvertes

L’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » n’est pas sans poser certaines difficultés s’agissant des points suivants.

a) Avenir de la marque française

Le raisonnement du TAF consiste à lier le droit à la marque en Suisse à l’existence d’un équivalent dans le pays d’origine. Dès lors que, dans le pays d’origine, la marque est réservée à une entreprise déterminée, les produits ou services ainsi désignés, limités à la provenance donnée, ne pourraient provenir que de cette entreprise.

Ces considérations ne tiennent toutefois pas compte de la possibilité que la marque soit radiée dans le pays d’origine. Or, une telle radiation n’aurait aucune conséquence sur la marque en Suisse, sauf si nous sommes en présence d’un enregistrement international et que la demande de base est radiée durant la période de dépendance de cinq ans (art. 6 de l’Arrangement de Madrid).

b) Force distinctive de la marque « CLOS D’AMBONNAY » en cas de conflit avec une autre marque

L’arrêt du TAF fait une exception à l’art. 2 let. a LPM et admet à l’enregistrement un signe dont le caractère distinctif est douteux. Cela n’est pas sans poser des difficultés dans le cadre d’un éventuel conflit qui opposerait un tel signe à un nouvel enregistrement. En d’autres termes, qu’adviendrait-il si la titulaire du signe « Clos d’Ambonnay » s’opposait à l’enregistrement « GUYOT & VELUZ – CLOS D’AMBONNAY » pour des vins provenant d’Ambonnay (cl. 33):

Le TAF considère que la marque « CLOS D’AMBONNAY » ne relève pas du domaine public. Faut-il donc en conclure que cette marque jouit d’une force distinctive, à tout le moins normale? Dans ce cas, on devrait conclure au fait que le nouvel enregistrement « GUYOT & VELUZ – CLOS D’AMBONNAY » porte atteinte à la marque antérieure « CLOS D’AMBONNAY ».

Toutefois, le TAF souligne également dans son arrêt que le signe « CLOS D’AMBONNAY » sera perçu comme désignant un vignoble ou un domaine de la commune française d’Ambonnay. Compte tenu de son caractère géographique, la marque pourrait donc être qualifiée de faiblement distinctive (cf. B-8468/2010, consid. 6.1.1 – TORRES / TORRE SARACENA ; TAF B-7489/2006, consid. 9.1 – Le Gruyère Swizterland (fig.) / Gruyère Cuisine… (fig.)). Ainsi, la seule concordance d’éléments appartenant au domaine public ne conduirait pas à l’existence d’un risque de confusion entre les marques « CLOS D’AMBONNAY » et « GUYOT & VELUZ – CLOS D’AMBONNAY » (cf. TAF B-461/2013, consid. 10.2 – Sports (fig.)/zoo Sports (fig.)).

En définitive, l’issue d’une procédure de conflit mettant en cause la marque « CLOS D’AMBONNAY » dépendra essentiellement de la manière dont les autorités détermineront la force distinctive de cette marque, qualification qui n’est pas sans poser des difficultés comme nous venons de le voir.

5. Conclusion

Il ressort de ce qui précède que l’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » s’écarte de la jurisprudence récemment développée en matière d’indication de provenance étrangère. La justification fondée sur l’arrêt MONTPARNASSE ne nous semble pas convaincante. Comme on l’a vu ci-dessus, la Haute Cour a semble-t-il déjà limité dans un arrêt de principe la portée de cette jurisprudence à l’examen du besoin de disponibilité (TF 4A.14/2006 consid. 3.4 – CHAMP ; à notre sens confirmé dans TF 4A_6/2013, consid. 4.1 – WILSON).

L’arrêt « CLOS D’AMBONNAY » pose en outre un certain nombre de difficultés s’agissant de son intégration dans la pratique de l’examen de marques. Il soulèvera enfin d’épineuses questions en cas de conflit de marques.

Il conviendra de vérifier si, à l’avenir, le TAF s’inscrira ou non dans la voie tracée par cet arrêt, qui reste à ce jour isolé (faire un lien avec Schweizer Salinen ?). Si tel devait être le cas, au vu des contradictions et des difficultés que cet arrêt apporte, on peut s’attendre à ce que ce soit finalement le TF qui ait le dernier mot sur ces questions.

 

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