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Swiss Avia Consult Sàrl / Avia SA (avec bref commentaire)

TF, arrêt 4A_630/2018 du 17 juin 2019 – raisons de commerce, nom de domaine, risque de confusion

Art. 2 al. 2 CC et 956 al. 2 CO: La péremption de l’action en cessation de l’atteinte suppose que l’ayant droit ait toléré la violation de ses droits pendant une période de 4 à 8 ans sans s’y opposer et que l’auteur de la violation ait entre-temps acquis lui-même une position digne de protection.

Art. 951 CO: Le principe de spécialité, qui prévaut en droit des marques, ne s’applique pas en droit des raisons de commerce.

Art. 951 et 956 CO: Pour juger du risque de confusion entre une raison de commerce et un nom de domaine, il faut tenir compte de l’adresse Internet qui permet d’accéder à ce site, et non du contenu de celui-ci.

Les faits

Les sociétés « Avia SA » et « AVIA Fédération d’Importateurs Suisses indépendants en produits pétroliers, Société coopérative » (plaignantes et intimées) sont inscrites au registre du commerce depuis 1994 et 1932, respectivement. Elles ont pour but, de manière générale, le commerce de carburants et combustibles.

En septembre 2009, la société « Swiss Avia Consult Sàrl » (défenderesse et recourante) s’est fait inscrire au registre du commerce. Elle est active dans le domaine de l’aviation et de l’industrie de moteurs.

Au printemps 2015, les plaigantes ont fait savoir à « Swiss Avia Consult Sàrl » qu’elle portait atteinte à leur raison sociale et ont exigé qu’elle retire le terme « avia » de la sienne et cesse l’utilisation de cet élément.

En août 2015, les plaignantes ont déposé devant le Tribunal cantonal de Fribourg une action en cessation de l’atteinte fondée sur les art. 951 et 956 CO à l’encontre de la défenderesse. La Cour cantonale a donné raison aux plaignantes.

La société « Swiss Avia Consult Sàrl » recours au TF, qui la déboute intégralement.

La péremption

Les actions défensives en matière de droit de propriété intellectuelle peuvent s’éteindre lorsqu’elles sont mises en œuvre trop tard. Cette péremption est déduite de l’art. 2 al. 2 CC. L’abus de droit réside dans le fait que l’ayant droit adopte un comportement contradictoire. L’inaction prolongée suscite l’apparence d’une tolérance que contredit l’action en justice intentée des années plus tard.

La péremption suppose que deux conditions cumulatives soient remplies. Premièrement, l’ayant droit doit avoir toléré la violation de ses droits pendant une longue période sans s’y opposer. La jurisprudence fait état d’une période oscillant entre 4 et 8 ans et débutant, pour les raisons de commerce, au moment de l’inscription au registre du commerce.

Deuxièmement, l’auteur de l’atteinte doit avoir entre-temps acquis lui-même une position digne d’intérêt. C’est le cas si sa raison sociale s’est imposée dans le public comme état un signe distinctif de l’entreprise ensuite d’un long et paisible usage et qu’il s’est ainsi créé une position concurrentielle avantageuse. Cette position doit être telle que les désavantages sérieux qui résulteraient pour lui de la modification de sa raison de commerce justifient de faire supporter à l’ayant droit l’inconvénient d’une coexistence.

La péremption est admise avec retenue, particulièrement en cas de conflit entre raisons de commerce, car l’art. 2 al. 2 CC ne sanctionne que les abus de droit manifeste.

En l’espèce, la passivité des demanderesses pendant 5½ ans pourrait remplir la première condition de la péremption.

Cependant, bien que la recourante ait, depuis sa constitution, développé ses activités dans le domaine de l’aviation, vu son chiffre d’affaires net passer de 50’000 fr. en 2011 à plus d’un million de francs en 2014, et noué des collaborations fructueuses avec environ vingt magasins de réparation et des fournisseurs de pièces détachées pour les avions, le TF retient que la deuxième condition n’est pas remplie. La recourante n’a pas réussi à établir que l’abandon de l’élément « Avia » entraînerait de sérieux inconvénients pour elle. Le TF confirme donc que l’action des plaignantes n’est pas périmée.

Le risque de confusion entre raisons de commerce

Il y a risque de confusion lorsque la raison sociale d’une entreprise peut être prise pour une autre (confusion dite directe) ou lorsque les raisons sociales peuvent certes être distinguées, mais qu’elles donnent l’impression erronée qu’il existe des liens juridiques ou économiques entre les deux entreprises concernées (confusion dite indirecte). Dans ces cas le titulaire de la raison antérieure peut demander la cessation de l’atteinte que la raison postérieurement inscrite engendre (art. 951 et 956 CO).

Le principe de spécialité, qui prévaut en droit des marques, ne s’applique pas en droit des raisons de commerce. Cela étant, le risque de confusion doit être jugé de manière plus stricte lorsque les entreprises ont des activités identiques ou similaires ou qu’elles exercent leurs activités dans un périmètre géographique restreint.

Les raisons doivent se différencier par une comparaison attentive de leurs éléments, mais aussi par le souvenir qu’elles peuvent laisser. Les éléments qui sont frappants par leur signification ou leur sonorité ont une importance particulière dans l’appréciation du risque de confusion.

Les désignations de pure fantaisie jouissent généralement d’une force distinctive importante, à l’inverse des désignations génériques, qui appartiennent au domaine public.

En l’occurrence, le TF a déjà eu l’occasion, dans des affaires précédentes, de dire que le terme « Avia » est une désignation de fantaisie, notamment dans le domaine de l’aviation. Le TF réaffirme ici cette appréciation.

Le signe « Avia » est donc doté d’une force distinctive originaire normale et, partant, le TF confirme l’existence d’un risque de confusion entre les raisons sociales des parties.

La recourante ne peut pas se prévaloir du fait qu’en lien avec le domaine de l’avion, le terme serait descriptif et donc soumis à un besoin de libre disposition. De même, elle ne peut rien déduire du fait que sa raison contient d’autres éléments que le terme « Avia », en particulier le terme « Consult» qui serait distinctif dans le contexte de la fourniture de services en lien avec l’aviation. Le TF rappelle que le champ de protection du signe de la recourante ne varie pas en fonction des services qu’elle fournit car le principe de spécialité ne s’applique pas en droit de raisons de commerce.

Le risque de confusion entre raison de commerce et nom de domaine

La fonction d’identification des noms de domaine a pour conséquence qu’ils doivent se distinguer suffisamment des signes distinctifs appartenant à des tierces personnes et protégés par un droit absolu, cela afin d’empêcher des confusions. Partant, si le signe utilisé comme nom de domaine est protégé par le droit des raisons de commerce, l’ayant droit peut en principe interdire au tiers non autorisé l’utilisation de ce signe comme nom de domaine.

Le TF estime que, pour juger du risque de confusion entre une raison de commerce et un nom de domaine, il faut tenir compte de l’adresse Internet qui permet d’accéder à ce site, et non du contenu de celui-ci.

En l’espèce, la recourante possède le nom de domaine « swissaviaconsult.ch ». Le TF estime que la signification des mots « swiss » et « consult » étant évidente, le public concerné reconnaît sans aucune difficulté le mot « avia ».

Ainsi, dès lors qu’il a confirmé le risque de confusion entre les raisons de commerce, le TF admet également ce risque entre les raisons de commerce des demanderesse et le nom de domaine de la recourante.

(TF, arrêt 4A_630/2018 du 17 juin 2019)

Commentaire

Le contenu du site Internet auquel renvoie le nom de domaine litigieux a-t-il une incidence sur l’appréciation du risque de confusion entre un signe distinctif et ce nom de domaine ?

A cette question, les réponses diffèrent selon le signe distinctif invoqué.

De manière constante, le TF a établi que le contenu du site n’a pas d’incidence en matière de conflit entre nom de domaine et droit au nom (ATF 128 III 535).

Dans les conflits entre marque et nom de domaine, certains tribunaux, en vertu du principe de spécialité, ont tenu compte du contenu du site, et d’autres non [1]. En lien avec les marques de haute de renommée, le contenu du site n’est pas déterminant selon le TF.

En droit des raisons de commerce, la question ne semble pas avoir été concrètement abordée par la jurisprudence jusqu’ici [1]. Le TF apporte donc une réponse claire avec cet arrêt en affirmant que le contenu n’est pas déterminant.


[1] Alain Alberini /Adrien Alberini, Le droit suisse des noms de domaines, Quid iuris?, Zurich 2019, p. 94 et 95

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