TAF, arrêt B-1137/2022 du 17 mai 2023 – radiation pour défaut d’usage, abus de droit nié, recours rejeté
Art. 35a LPM et 2 al. 2 CC : Le grief de l’abus de droit n’est recevable que s’il se rapporte à des motifs pouvant être invoqués dans procédure de radiation. Les motifs pour lesquels un requérant demande la radiation d’une marque ne sont pas pertinents en soi.
Art. 11 LPM : Les exigences pour admettre que les mesures préparatoires suffisent pour un usage dans les échanges économiques sont élevées. Il ne faut pas présumer à la légère d’un usage de la marque en Suisse par des contributions sur les réseaux sociaux et l’existence d’un site internet.
La recourante, La Hispano Suiza Fabrica de Automoviles S.A., était titulaire de la marque «LA HISPANO-SUIZA» (IR 138’574) protégée en Suisse pour les Automobiles, pièces détachées et accessoires pour automobiles (cl. 12). Sur demande de l’intimé déposée en novembre 2018, l’IPI a radié cette marque pour défaut d’usage en Suisse. La recourante fait valoir devant le TAF que cette demande de radiation est abusive au sens de l’art. 2 al. 2 CC. Elle requiert l’annulation de la décision de l’IPI et le rejet de la demande de radiation. Le TAF rejette le recours et confirme la radiation de la marque de la recourante.
Invocation de l’abus de droit en procédure de radiation pour défaut d’usage
L’interdiction de l’abus de droit, en tant que principe déduit de la bonne foi, s’applique à l’ensemble de l’ordre juridique, aussi bien aux particuliers qu’aux autorités. Il y a notamment abus de droit lorsqu’une institution juridique est utilisée contrairement à son but pour réaliser des intérêts qu’elle ne veut pas protéger ou qui ne relèvent pas de son domaine de protection (ATF 140 III 491 consid. 4.2.4).
Le but de la procédure de radiation est de libérer le registre de marques inutilisées de la manière la plus simple possible. La procédure repose sur un intérêt public à l’épuration du registre. En conséquence, toute personne peut déposer une demande de radiation et l’intérêt privé du requérant et ses motivations n’entrent pas en ligne de compte. La personne qui demande la radiation d’une marque ne doit pas faire valoir un intérêt digne de protection. Il n’est pas nécessaire que le requérant ait un besoin concret de protection juridique dans le cas particulier.
En procédure d’opposition en matière de marques, le TAF a retenu que l’abus de droit ne pouvait être opposé qu’aux arguments disponibles dans cette procédure en raison de l’objet limité du litige (cf. art. 31 LPM) (arrêt du TAF B-5129/2016 du 12 juillet 2017 consid. 5 « Chrom-Optics/Chrom-Optics »). Le TAF applique la même logique à la procédure de radiation pour défaut d’usage. Ainsi un comportement abusif de celui qui demande une radiation ne peut être retenu que si l’abus porte sur le dépôt de la demande ou sur l’invocation du non-usage. On ne peut pas déduire un comportement abusif d’arguments ou faits qui sont en dehors de l’objet du litige.
Les motivations personnelles du requérant sont sans importance dans la procédure de radiation
L’objet du litige se limite à la question de savoir si l’IPI a considéré à juste titre comme vraisemblable la demande de radiation pour défaut d’usage de la marque IR n° 138’574 « LA HISPANO-SUIZA ». Il est donc possible d’invoquer l’interdiction de l’abus de droit en ce qui concerne les arguments juridiques qui découlent directement de la procédure de radiation.
Cependant, seuls sont recevables et pertinents les arguments relatifs à l’usage de la marque contestée à des fins de maintien du droit pendant la période pertinente. Les motifs pour lesquels l’intimé a demandé la radiation de la marque litigieuse ne sont pas pertinents en soi. Le fait que l’intimé ait pu invoquer ce moyen de droit dans son propre intérêt ne constitue pas en soi un abus de droit, étant donné que la demande de radiation n’exige justement pas d’intérêt digne de protection. L’intérêt public de la procédure de radiation s’oppose à une condition d’aptitude personnelle à l’usage de la marque pour pouvoir invoquer le non-usage (cf. arrêt du TAF B-2627/2019 du 23 mars 2021 consid. 6.2 « Sherlock/Sherlock’s »). Le fait que l’intimé soit lui-même titulaire du signe, qu’il dispose d’une proximité relationnelle spécifique avec le signe ou qu’il veuille, par le biais d’une demande de radiation, faire obstacle à l’usage ultérieur de la marque par la recourante est donc sans importance dans cette procédure.
Pas de traitement spécial pour les marques historiques
Le fait que la marque contestée soit enregistrée depuis 1948 et qu’elle revendique donc une protection en Suisse depuis plus de 70 ans ne doit pas être pris en considération pour l’abus de droit. En créant une procédure de radiation, le législateur n’a pas émis de réserve pour les marques anciennes ou historiques. Seul l’usage de la marque peut remplir sa fonction distinctive. En s’abstenant d’utiliser sa marque, le titulaire s’expose à une demande de radiation pouvant émaner de n’importe qui, indépendamment de la preuve d’un intérêt. L’intimé n’est pas responsable du non-usage de la marque contestée.
Actes préparatoires
La plupart des preuves d’usage produites par la recourante se rapportent à une période antérieure au délai de cinq ans posé à l’art. 12 al. 1 LPM et sont donc inaptes à maintenir le droit à la marque. La recourante s’appuie alors sur un usage postérieur à la période pertinente. Elle a en effet présenté son automobile Hispano Suiza Carmen au Salon de l’automobile de Genève en mars 2019 (soit 4 mois après le dépôt de la demande de radiation). La question se pose alors de savoir si la recourante a effectué des actes préparatoires équivalent à un usage durant la période pertinente de cinq ans.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’usage sérieux d’une marque visant au maintien des droits doit être motivé par l’intention de satisfaire toute demande, sans qu’il soit nécessaire d’atteindre un chiffre d’affaires minimum déterminé. Pour être sérieux, l’usage doit être économiquement raisonnable et ne pas être simplement apparent. Les exigences pour admettre que les mesures préparatoires suffisent pour un usage dans les échanges économiques sont élevées. Seules les mesures d’introduction sur le marché poursuivies avec le sérieux requis peuvent être qualifiées de conservatoires. Par analogie aux exigences relatives au droit de continuer à utiliser la marque selon l’art. 14 LPM, l’enregistrement d’un nom de domaine ou la simple annonce d’un début d’activité sont qualifiés d’actes préparatoires insignifiants de l’usage. Dans la mesure où la marque n’est utilisée que dans la publicité, la simple présence sur Internet ou la possibilité de commander des produits par ce biais n’est pas suffisante tant qu’il n’y a pas de visite des pages Web et que des ventes sont effectuées par ce biais.
En l’espèce, les actes effectués durant la période pertinente en lien avec cette exposition se réduisent à des annonces de la présentation et la mise en ligne d’une page Web. Ces annonces ne peuvent pas être qualifiées d’usage fonctionnel de la marque en tant que signe distinctif et ne sont pas suffisantes pour déclencher une demande sérieuse. Conformément à la jurisprudence, il ne faut pas présumer à la légère d’un usage de la marque en Suisse par des contributions sur les réseaux sociaux et l’existence d’un site internet (TAF arrêt B-6813/2019 du 25 mai 2021- « APTIS/APTIV » et ATF 146 III 225).
Ce principe vaut également dans le segment des produits de luxe, dans lequel de petites quantités vendues peuvent déjà suffire à maintenir le droit à la marque. Même pour des produits de luxe, un usage de la marque ne peut pas être fait avec une simple intention d’usage et il n’est pas possible de renoncer à une certaine intensité dans la commercialisation ou la prospection du marché.
En définitive, le TAF constate que les preuves fournies par la recourante ne permettent de rendre vraisemblable un usage en Suisse durant la période pertinente et rejette le recours.