TF, arrêt 4A_83/2018 du 1er octobre 2018 – raisons de commerce, risque de confusion, droit au nom
Art. 951 et 956 al. 2 CO, 29 CC: Il ne peut être interdit à une personne d’inclure son propre nom dans la dénomination sociale. Cela vaut même si ce nom fait partie de la raison de commerce d’une autre société inscrite antérieurement et opérant dans le même secteur.
Art 13 al. 2 et 3 al. 1 LPM: L’examen du risque de confusion s’examine sur la base de l’impression laissée par le signe litigieux dans son ensemble et tel qu’il est effectivement utilisé dans le commerce. La combinaison de l’élément contesté avec d’autres éléments peut ainsi permettre d’éliminer un risque de confusion.
Les faits
L’étude d’avocats « Pachmann Rechtsanwälte AG », demanderesse et recourante, est inscrite depuis 2013 au registre du commerce zurichois. Elle dispose depuis 2016 de la marque verbale « Pachmann » (CH 691939) enregistrée notamment pour des services de conseil juridique (classe 45).
La défenderesse est également une étude d’avocats zurichoise. Elle a été inscrite au registre du commerce de ce canton sous le nom « Bachmann Rechtsanwälte AG » en 2015. Elle possède la marque figurative « B (fig.) » (CH 674761) enregistrée la même année pour des services juridiques (classe 45).
Par action déposée le 13 mars 2017 devant le tribunal de commerce zurichois, la demanderesse réclame la radiation de la raison de commerce « Bachmann Rechtsanwälte AG ». Elle demande en outre l’interdiction à la défenderesse de fournir des services juridiques sous cette raison de commerce, sous le nom « Bachmann » et sous sa marque « B (fig.) ».
Le tribunal zurichois nie un risque de confusion entre les raisons de commerce en cause. Le tribunal ne constate en outre aucune violation du droit des marques et de la concurrence déloyale. Il rejette intégralement la demande.
Le droit exclusif à la raison de commerce
Inscrit à l’art. 951 CO, le principe du droit exclusif à la raison de commerce impose à une nouvelle raison de commerce de se distinguer nettement de toute autre déjà inscrite en Suisse. Le titulaire d’une raison sociale peut se faire valoir en justice le préjudice qu’il subit en raison du risque de confusion créé par l’utilisation d’une raison de commerce postérieurement inscrite (art. 956 al. 2 CO). La notion du risque de confusion s’interprète de manière uniforme en droit des signes distinctifs.
Les sociétés anonymes étant en principe libres de choisir leur dénomination, la jurisprudence impose des exigences strictes quant à leur caractère distinctif. Ces exigences sont plus élevées lorsque deux sociétés peuvent se faire concurrence. La concurrence existe lorsqu’elles s’adressent à la même clientèle et sont géographiquement proches.
Le risque de confusion s’examine sur la base de l’impression d’ensemble. L’impression qui reste dans la mémoire du public est déterminante. Les éléments dotés d’un caractère distinctif fort restent mieux en mémoire et ont une influence importante sur l’impression d’ensemble. Tel est le cas des désignations purement fantaisistes, à l’inverse des éléments appartenant au domaine public.
Le droit à utiliser son nom dans sa raison de commerce
La forme juridique (AG) et la description de l’activité (Rechtsanwälte) appartiennent au domaine public et sont dénués de caractère distinctif. L’élément distinctif de chacune des deux raisons de commerce se réduit donc aux patronymes utilisés (Bachmann / Pachmann).
Le litige ne porte pas entre deux noms fantaisistes, dans le contexte desquels les sociétés disposent d’un choix étendu. Il concerne au contraire l’usage de noms de famille qui, par leur nature, ne peuvent être choisis.
L’art. 29 CC garantit par ailleurs que toute personne physique a en principe le droit d’opérer sous son nom de famille et d’utiliser son nom de famille comme raison sociale. Selon la jurisprudence fédérale (BGE 102 II 161 E. 4c/aaa), il ne peut être interdit à une personne, même en vertu du droit des sociétés, d’inclure son propre nom dans la dénomination sociale. Cette règle vaut même si ce nom fait déjà partie de la raison sociale d’une autre société inscrite antérieurement et opérant dans le même secteur. Or, en l’occurrence, les deux noms en cause ne sont pas identiques.
Le TF souligne enfin que les études d’avocats constitués en société utilisent couramment le schéma nom de famille – avocats – SA. Les avocats ont un intérêt à ce que leur nom figure dans la raison sociale sous laquelle ils opèrent. Cet intérêt est protégé par le droit au nom en raison de la relation personnelle de confiance qu’ils ont avec leur clientèle. Le TF nie donc le risque de confusion entre les deux raisons de commerce.
Signe litigieux examiné tel qu’utilisé dans le commerce
L’art. 13 al. 2 LPM permet au titulaire d’une marque d’interdire à des tiers l’usage de signes portant atteinte à la fonction distinctive de sa marque. Tel est le cas lorsque le signe tiers est similaire à la marque antérieure et destiné à des produits ou services identiques ou similaires, lorsqu’il en résulte un risque de confusion (art. 3 al. 1 LPM).
L’examen du risque de confusion entre deux signes s’examine, comme dans le cas des raisons de commerce, sur la base de l’impression d’ensemble. Cet examen n’est pas mené de manière abstraite, mais toujours dans le contexte des circonstances générales.
En l’occurrence, la défenderesse utilise son nom « Bachmann » en association avec sa marque figurative et avec l’inscription, en caractères plus petits, de l’indication « Rechtsanwälte AG Attorneys-at-Law ».
Le terme « Bachmann » dans le signe incriminé fonctionne certes comme signe distinctif, mais cet élément n’est utilisé pas seul. Il est au contraire combiné avec d’autres éléments qui influencent l’impression d’ensemble. Le TF rejette le point de vue de la demanderesse selon lequel l’élément figuratif « B » et les éléments verbaux « Bachmann » et « Rechtsanwälte AG » devraient chacun représenter des signes indépendants. L’appréciation du risque de confusion se fonde sur la comparaison de la marque « Pachmann » avec le signe combiné utilisé par la défenderesse. A cet égard, la marque « B », représentant l’élément distinguant les deux patronymes, joue un rôle de premier plan.
En conséquence, le public concerné ne sera pas induit en erreur. Il n’y a pas de risque de confusion entre le signe utilisé par la défenderesse et la marque « Pachmann ». Un risque confusion fondé sur la concurrence déloyale est également absent. Le TF rejette donc le recours et confirme l’arrêt zurichois.