TF, arrêt 4A_609/2023 du 26 janvier 2024 – nullité de la marque, absence d’intention d’usage, recours rejeté
Art. 52 LPM et 2 al. 2 CC: Une marque déposée sans réelle intention d’usage, uniquement dans le but d’obtenir un avantage financier de l’utilisateur précédent, est considérée comme nulle. L’absence d’intention d’usage étant un fait négatif difficile à prouver, il appartient au défendeur de collaborer à l’établissement des faits en apportant des explications crédibles sur sa stratégie de dépôt.
En début d’année 2020, la société B.________ AG (plaignante et intimée), active dans le commerce de produits naturels et de cosmétiques, a présenté à la société A.________ AG (défenderesse et recourante), spécialisée dans l’organisation d’événements et les services informatiques, l’idée de développer un spray parfumé destiné aux masques de protection. Les deux sociétés, dont les dirigeants entretenaient des relations amicales, ont échangé à ce sujet à plusieurs reprises.
Un différend est ensuite apparu concernant la propriété de la marque E.________ destinée à être utilisée sur ces produits. B.________ AG affirme avoir seule décidé d’utiliser le nom E.________ pour ce spray et de le faire enregistrer comme marque auprès du registre suisse. Elle avait déjà réservé le nom de domaine correspondant depuis 2015. A.________ AG soutient que le terme serait un co-création et qu’il aurait été choisi en commun parmi différentes propositions.
Quelques mois plus tard, A.________ AG a déposé au registre suisse la marque E.________ à son propre nom. Surprise, B.________ AG aurait plusieurs fois demandé à A.________ AG de retirer la demande ou de lui transférer la marque. Des discussions ont alors eu lieu entre les parties concernant un éventuel transfert à titre pécuniaire de la marque. A.________ AG a progressivement augmenté ses prétentions financières, réclamant jusqu’à plus de 100’000 francs.
En mars 2021, B.________ AG a saisi le Tribunal de commerce du canton de Saint-Gall pour faire constater la nullité de cette marque. Par jugement du 28 juin 2023, le Tribunal de commerce a annulé la marque, estimant que son dépôt par A.________ AG relevait d’un abus de droit, motivé par la volonté d’obtenir un avantage financier indu. Il a également rejeté l’argument selon lequel les deux sociétés auraient formé une société simple. A.________ AG a formé un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral, demandant l’annulation de la décision cantonale et le rejet de la demande de B.________ AG.
Confirmation du dépôt abusif, sans intention d’usage
Une marque ne bénéficie d’aucune protection lorsqu’elle n’a pas été déposée dans l’intention de l’utiliser, mais uniquement dans le but d’empêcher des tiers d’enregistrer un signe similaire, d’étendre la protection d’autres marques déjà utilisées ou d’obtenir un avantage financier (ATF 127 III 160 consid. 1a). L’absence d’intention d’usage constitue un motif de nullité de la marque enregistrée (art. 52 LPM et art. 2 CC).
En principe, il appartient à la partie qui invoque la nullité de prouver l’absence d’intention d’usage (art. 8 CC). Toutefois, comme il s’agit d’un fait négatif difficile à démontrer directement, il est attendu de la partie adverse qu’elle collabore en documentant ou en expliquant les raisons pour lesquelles le dépôt de la marque s’inscrivait dans une stratégie conforme aux règles de bonne foi. Si le juge considère que ces explications ne sont pas crédibles, il peut conclure à l’absence d’intention d’usage sur la base d’indices concordants (TF arrêt 4A_227/2022, consid. 3.1).
Après l’enregistrement, la recourante a demandé à plusieurs reprises des montants financiers croissants en contrepartie de la cession de la marque à l’intimée. À aucun moment, ni au cours de la procédure cantonale ni devant le Tribunal fédéral, la recourante n’a exposé de manière convaincante en quoi elle aurait eu l’intention d’exploiter elle-même la marque. Elle échoue ainsi à démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait violé le droit fédéral. Le recours est ainsi rejeté.