TAF, arrêt B-1958/2021 du 21 août 2023 – motifs relatifs, moment pour invoquer le défaut d’usage, recours admis
Art. 22 al. 3 LPM et 5 Cst.: La règle de l’art. 22 al. 3 OPM ne respecte pas le principe de légalité. Le défaut d’usage doit aussi pouvoir être invoqué durant le délai de carence, l’IPI devant le cas échéant reprendre l’instruction même à un stade tardif de la procédure d’opposition.
Art. 22 OPM, 32 et 12 LPM: Le titulaire de la marque opposante ne doit pas prouver l’usage de celle-ci au moment où l’exception de non-usage est invoquée à titre préventif, mais seulement au moment de l’expiration du délai de carence.
Le TAF admet le recours formé par la titulaire de la marque attaquée «F2 (fig.)» (CH 682’269) contre la décision de l’IPI admettant partiellement l’opposition basée sur la marque antérieure «f2 (fig.)» (IR 1’275’999) pour tous les produits et services similaires.
L’affaire porte uniquement sur le moment déterminant pour invoquer le défaut d’usage. La recourante avait soulevé l’exception du non-usage dans sa première réponse à l’IPI, mais à un moment où le délai de carence de la marque opposante n’était pas encore échu. L’IPI a donc laissé ce point ouvert dans sa décision. La recourante fait valoir que l’IPI aurait dû examiner cette exception.
Moment déterminant pour invoquer le non-usage
L’art. 12 al. 1 LPM prévoit que si, à compter de l’échéance du délai d’opposition ou, en cas d’opposition, de la fin de la procédure d’opposition, le titulaire n’a pas utilisé la marque en relation avec les produits ou les services enregistrés, pendant une période ininterrompue de cinq ans, il ne peut plus faire valoir son droit à la marque, à moins que le défaut d’usage ne soit dû à un juste motif.
L’art. 22 al. 3 OPM met en œuvre cette exception dans le cadre de la procédure d’opposition (art. 32 LPM). Il précise que le défendeur de l’opposition doit faire valoir le défaut d’usage de la marque opposante dans sa première réponse. Jusqu’en juin 2019, selon la jurisprudence constante du TAF (et de la CREPI), le défaut d’usage ne pouvait alors être invoqué que si le délai de carence prévu à l’art. 12 al. 1 LPM était échu.
Dans un arrêt B-6675/2016 du 19 juin 2019 (Gerflor/Gemflor), le TAF avait jugé que le défaut d’usage pouvait être invoqué devant l’IPI pendant le délai de carence, c’est-à-dire avant l’échéance de la période de 5 ans durant laquelle le non-usage n’entraine pas une perte de droit. Cette invocation n’est évidemment pertinente que dans le cas où la décision (de l’IPI ou du TAF en cas de recours) intervient après l’échéance de ce délai de carence. Dans ce cas de figure, selon les explications du TAF, l’opposante est invitée à rendre vraisemblable l’usage de sa marque pendant la période de cinq ans qui précède non pas la date à laquelle le défaut d’usage a été invoqué dans la première réponse du défendeur devant l’IPI, mais « bien la date à laquelle le délai de carence de la marque opposante arrive à échéance » (TAF B-6675/2016, consid. 9.4.2.2.). Cette règle, pour le moins surprenante, conduirait à examiner l’usage durant la période de carence; la période de 5 ans qui précède l’échéance du délai de carence étant précisément le délai de carence. Or, selon la jurisprudence du TF, le défaut d’usage durant le délai de carence est sans conséquence juridique sur le droit à la marque.
Suite à cette décision, dans les cas où le défaut d’usage était invoqué durant le délai de carence, l’IPI a simplement laissé cette question ouverte; cette invocation du défaut d’usage n’étant qu’un simple acte procédural permettant au défendeur de sauvegarder ses droits au cas où le délai de carence viendrait à échoir avant le décision finale.
Dans le cadre de l’adhésion de la Suisse à l’Acte de Genève en décembre 2021, les règles procédurales relatives à l’opposition à l’enregistrement des indications géographiques ont été insérées dans l’OPM. Celles-ci reprennent largement les règles applicables aux oppositions en matière de marques si bien que le Conseil fédéral a profité de l’occasion pour clarifier dans l’ordonnance la dies a quo pour l’invocation du défaut d’usage dans une opposition. L’art 22 al. 3 OPM a ainsi été complété comme suit afin :
Dans sa première réponse, pour autant qu’un délai ininterrompu de cinq ans se soit écoulé à compter de l’échéance du délai d’opposition ou, en cas d’opposition, de la fin de la procédure d’opposition, le défendeur doit, le cas échéant, faire valoir le défaut d’usage de la marque de l’opposant au sens de l’art. 12, al. 1, LPM.
Cette précision visait à éviter l’examen de l’usage durant le délai de carence, c’est-à-dire la période où le non-usage est sans conséquence. Etant donné que l’art. 12 al. 1 LPM prévoit clairement le moment à partir duquel le défaut d’usage a un effet sur le droit à la marque, il est dans l’esprit de cette disposition de ne permettre son invocation (en procédure d’opposition qui doit rester simple et rapide) qu’à partir de ce moment.
Analyse de la légalité de l’art. 22 al. 3 OPM
Le TAF admet qu’un droit ne peut en principe être exercé devant les autorités ou les tribunaux qu’après sa naissance. L’exception découlant de l’art. 12 al. 1 LPM ne peut donc être mise en œuvre qu’une fois le délai de carence de cinq ans échu.
Il est néanmoins possible que cette exception donnée à l’opposant ne naisse qu’entre la date fixée par l’IPI pour le dépôt de la première prise de position et celle de la décision sur l’opposition. Or, dans une telle situation, l’application de l’art. 22 al. 3 OPM (dans sa version modifiée du 1 décembre 2021) prive l’opposant de la possibilité de faire usage de ce moyen de défense. Cette disposition de l’ordonnance limite le droit déduit de l’art. 12 LPM. Pour le TAF, le Conseil fédéral ne dispose d’aucune base de délégation dans la LPM pour limiter la portée de l’art. 12 LPM. Le TAF conclut donc que la modification introduite en décembre 2021 viole le principe de la légalité fixé à l’art. 5 Cst.
Le TAF confirme ainsi sa jurisprudence Gerflor/Gemflor de juin 2019 et confirme la possibilité de soulever l’exception du non-usage à titre préventif, durant le délai de carence. Il précise que le titulaire de la marque opposante ne doit pas prouver l’usage de celle-ci au moment où le défendeur fait valoir l’exception de non-usage à titre préventif, mais seulement au moment de l’expiration du délai de carence (TAF B-6675/2016. consid. 9.4.2.2). Cela implique que l’IPI doive éventuellement prendre des mesures d’instruction supplémentaires à cet égard à un stade assez tardif de la procédure.
Le recours est admis et la cause renvoyée à l’IPI pour analyse du défaut d’usage.
(TAF B-1958/2022 du 30 novembre 2023)