Close

Fractal

TF, arrêt 4A_297/2020 du 7 septembre 2020 – Action en cession du droit à la marque, action en interdiction, demande d’enregistrement de marque

Art. 53 et 5 LPM : L’action en cession du droit à la marque peut s’exercer à l’encontre d’une demande d’enregistrement, même si le signe n’est pas encore enregistré comme marque au moment du dépôt de l’action.

Art. 53 LPM: La notion d’usurpation d’une marque ne suppose pas nécessairement son usage. La demande d’enregistrement déposée de mauvaise foi constitue déjà une usurpation.

L’affaire porte, d’une part, sur la question de l’intérêt juridique lors d’une action en interdiction (art. 55 al. 1 let. a LPM). D’autre part, le TF tranche la question de la demande de cession d’une marque selon l’art. 53 LPM lorsque le signe a fait l’objet d’une demande d’enregistrement auprès de l’IPI, mais n’a pas encore enregistré comme marque moment du jugement.

En première instance, le tribunal supérieur de Nidwald, dans un arrêt du 27 avril 2020 (ZA 19 17), a nié l’intérêt juridique de la société plaignante FRACTAL-SWISS AG dans la demande en interdiction.

Il a également rejeté la demande de cession pour deux motifs :

  • «selon les termes clairs» de l’art. 53 LPM, seule une marque enregistrée pourrait être transférée ;
  • la plaignante n’aurait pas démontré à satisfaction de droit que la défenderesse utilisait effectivement l’objet du litige.

Le TF admet le recours de la société FRACTAL-SWISS AG contre ce jugement.

Les faits

FRACTAL-SWISS AG est titulaire de la marque verbale «Fractal» (CH 604913) et de la marque figurative «Fractal-Swiss (fig.)» (CH 681948), déposées respectivement en 2010 et en 2015 et enregistrées pour des produits en classe 9.

La défenderesse et intimée a été inscrite au registre du commerce sous la raison sociale Fractal-Swiss (pma) Sàrl en janvier 2017.

Les deux sociétés étaient liées par un contrat de licence. Ce contrat a été résilié par la plaignante en mai 2018. Avec cette résiliation, la plaignante a enjoint la défenderesse, en vain, de modifier sa raison sociale et d’en retirer l’élément «Fractal». Elle a réitéré cette demande en février et en mai 2019, sans succès.

En mars 2019, la défenderesse a déposé devant l’IPI une marque figurative «Fractal-Swiss (fig.)» (CH 3872/2019) pour des services en classes 35 et 45.

En juillet 2019, la plaignante a déposé devant le tribunal supérieur de Nidwald une action demandant qu’interdiction soit faite à la défenderesse d’utiliser le signe «Fractal» dans sa raison de commerce et en lien avec des produits et services. Elle demandait en outre que lui soit transférée la marque CH 3872/2019, subsidiairement que celle-ci soit radiée.

Ce n’est que suite au dépôt de cette action que la défenderesse a modifié sa raison de commerce et retiré l’élément verbal «Fractal». Cette partie de l’action est devenue sans objet en première instance déjà. Sont néanmoins restées litigieuses les questions de l’interdiction d’usage en lien avec les produits et services et le transfert du signe déposé. Le tribunal de Nidwald n’entre pas en matière. La plaignante recours au TF.

Intérêt juridique dans l’action en interdiction

La personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque peut demander au juge de l’interdire, si elle est imminente (art. 55 al. 1 let. a LPM). Le prononcé d’une telle interdiction suppose un intérêt juridique. Celui-ci n’existe que si l’atteinte est imminente, c’est-à-dire si le comportement du défendeur laisse sérieusement craindre une violation imminente des droits du demandeur. Des atteintes similaires antérieures, dont la répétition n’est pas à exclure, constitue un indice concret d’une atteinte imminente. Le risque d’une répétition peut généralement être admis lorsque le défendeur nie l’illégalité du comportement incriminé. Dans ce cas, on peut partir du principe qu’il poursuivra son action en pensant agir légalement.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal de Nidwald, l’intérêt juridique de la plaignante et recourante est clairement démontré. Le TF retient que la défenderesse n’a modifié sa raison sociale qu’une fois l’action déposée, alors qu’elle avait été sommée de le faire à maintes reprises auparavant. Elle a en outre déposé une nouvelle marque contenant le terme litigieux après la rupture du contrat de licence.

Ces éléments démontrent que les injonctions de la plaignante n’ont eu aucun effet sur la défenderesse, qui a perpétué son comportement par rapport aux droits de la plaignante. Des atteintes similaires subséquentes ne peuvent donc pas être exclues.

La présomption d’une réitération de l’atteinte peut être reversée par le défendeur. Les conditions sont toutefois strictes et ne sont pas réunies en l’espèce. En particulier, la seule cessation d’une violation en vue d’éviter un procès intenté par la partie adverse n’est pas suffisante si, par exemple, le défendeur ne remet pas en question la légalité de son propre comportement. Or, en l’occurrence, la défenderesse maintient sa demande d’enregistrement de marque, démontrant ainsi qu’elle n’a pas l’intention de reconnaître le droit exclusif sur le terme «Fractal» dont se prévaut la plaignante. Il y a donc un risque que l’atteinte alléguée se reproduise.

Le TF casse ainsi la décision attaquée sur ce point et renvoie l’affaire à l’autorité inférieure afin qu’elle examine si les autres conditions de l’art. 55 al. 1 let. a LPM sont remplies.

Action en cession à l’encontre d’une demande d’enregistrement

Selon l’art. 53 LPM, au lieu de conclure à la nullité d’un enregistrement, le demandeur peut exiger que la marque, sur laquelle il prétend avoir un droit préférable, lui soit cédée. Cette action vise à protéger l’ayant droit contre l’usurpation. Elle lui permet de sauvegarder la priorité, qu’il perdrait avec le prononcé de nullité.

Une demande de cession suppose, d’une part, que le demandeur jouisse d’un droit préférable à la marque et, d’autre part, que le défendeur ait usurpé la marque. Ces deux éléments doivent être prouvés par le demandeur.

L’enregistrement de la marque n’est pas une condition à l’action de l’art. 53 LPM

L’instance a estimé que l’art. 53 LPM ne pouvait s’appliquer qu’aux marques enregistrées. Le TF ne suit pas cette approche.

Certes, selon l’art. 5 LPM, le droit à la marque naît avec l’inscription au registre. La doctrine unanime estime toutefois qu’il devrait être possible de demander le transfert d’une marque qui se trouve au stade de la demande d’enregistrement, par le biais d’une action selon l’art. 53 LPM. On ne voit pas en effet pourquoi le demandeur devrait attendre l’enregistrement de la marque pour déposer son action, ni pourquoi un titulaire sans droit devrait rester inscrit au registre plus que de raison. Ce point de vue a du reste déjà été exposé par le TF auparavant (TF arrêt 4A_39/2011, du 08.08.2011, consid. 8.5.1). Enfin, rien dans les travaux préparatoires n’indique que l’action en cession de la marque devrait être réservée aux signes déjà inscrits au registre et que les simples demandes d’enregistrement seraient exclues du champ d’application de l’art. 53 LPM.

L’usurpation en suppose pas nécessairement un usage du signe

Le tribunal de Nidwald a reproché au demandeur de ne pas avoir démontré un usage effectif du signe par le défendeur.

Il y a usurpation au sens de l’art. 53 LPM lorsque le défendeur demande l’enregistrement de la marque alors qu’il connaissait ou aurait dû connaître le droit préférable du demandeur. Le dépôt de la demande d’enregistrement contraire à la bonne foi affecte déjà les droits du demandeur, sans qu’il soit nécessaire que le défendeur fasse, en plus, un usage effectif du signe.

Par ailleurs, le TF rappelle que l’action de l’art. 53 LPM vise à rétablir la situation légale et, dans cette mesure, à assainir le registre des marques. Pour cette raison, il est notamment attendu du demandeur qu’il ait effectivement droit à la marque dont le transfert est demandé.

Ainsi, l’usage de la marque litigieuse par la défenderesse n’est pas pertinent en l’espèce. On ne peut pas exiger de la demanderesse qu’en dépit du dépôt – supposément de mauvaise foi – du signe «Fractal-Swiss (fig.)», elle attende encore que survienne une violation par l’usage.

Le TF admet donc le recours et renvoie l’affaire en Suisse centrale.

TF, arrêt 4A_297/2020 du 7 septembre 2020

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.