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Le domaine public dans le DNS – le cas de « keyfinder.swiss »

Le TAF a rendu en date du 12 juin 2018 un arrêt intéressant portant sur l’appartenance au domaine public d’une désignation dans le système des noms de domaine (DNS) de deuxième niveau (A-2492/2017). Il a confirmé la décision de l’Office fédéral de la communication (OFCOM) qui avait refusé l’attribution du nom de domaine «keyfinder.swiss» au motif que le terme «keyfinder» est générique au sens de l’ordonnance sur les domaines Internet (ODI).

Keyfinder. Credit: Moovie

Le requérant est titulaire de la marque verbale «keyfinder» (CH P-516385) enregistrée en 2003 pour des porte-clés (cl. 14) et des plaquettes de sécurité en métal (cl. 6) ainsi que des services de gestion d’un bureau d’objets trouvés (cl. 35) et de sécurité pour la protection des biens (cl. 45).

Bien qu’un nom de domaine et une marque partagent certaines caractéristiques, ils se distinguent néanmoins sur de nombreux aspects si bien qu’ils sont soumis à des règles d’attribution ou d’enregistrement différentes.

Cet arrêt est l’occasion de comparer la notion de domaine public en droit suisse des noms de domaine par rapport au droit des marques.

Les règles d’attribution dans l’ODI par rapport au domaine public

Un nom de domaine est avant tout une ressource d’adressage. Il permet d’identifier un site Web sur le réseau Internet. En outre, le titulaire peut utiliser son nom de domaine pour distinguer son site Web. Le nom de domaine a ainsi une fonction de signe distinctif1.

Contrairement à l’enregistrement d’une marque, l’attribution d’un nom de domaine n’est pas constitutif d’un droit de propriété intellectuelle. Elle ne confère pas à son bénéficiaire un droit exclusif2. Cela étant, un nom de domaine est un identifiant unique et ne peut être attribué qu’à une seule personne. De fait, l’attribution d’un nom de domaine donne à son bénéficiaire l’exclusivité sur ce nom dans le DNS.

Cette exclusivité se heurte au principe de libre concurrence voulant que les termes appartenant au domaine public puissent être utilisés par tous les acteurs du marché.

Ce principe est concrétisé dans le contexte de l’attribution des noms de domaine sous l’extensdion .swiss par l’art. art. 53 al. 1 let. f ODI. Cette disposition prévoit qu’une dénomination qui correspond ou qui s’apparente à une dénomination à caractère générique ne peut pas être attribuée comme nom de domaine sous l’extension .swiss3.

Le domaine public en droit des marques et dans le DNS

En droit des marques, l’appartenance au domaine public se détermine toujours en lien avec les produits et services revendiqués. Un terme peut être descriptif en lien avec certains produits (et donc refusé à l’enregistrement), mais être distinctif en lien avec d’autres produits. Le signe doit permettre, du point de vue des consommateurs, de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise.

Par ailleurs, même lorsqu’un terme jouit d’un caractère distinctif suffisant, il doit encore ne pas être soumis à un besoin de libre disponibilité. Ce deuxième élément du domaine public s’examine au regard des concurrents auxquels doit être laissée la possibilité d’utiliser le terme.

Dans le DNS, le principe de spécialité n’existe pas. Un nom de domaine n’est pas attiribué en lien avec certains produits et services spécifiques. Le défaut de caractère distinctif en lien avec un produit ou service déterminé n’est donc pas en soi un motif de refus selon l’ODI. Cela s’explique simplement par le fait que, contrairement à une marque, le nom de domaine n’a pas pour fonction essentielle de distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise.

L’ODI ne parle pas de domaine public mais du caractère générique d’un terme.

Selon le site Web de l’OFCOM, un terme générique, au sens de l’ODI, est une dénomination qui se réfère à ou décrit d’une manière générale une catégorie ou une classe de biens (ex : chocolat, biscuit, pizza, montres), de services (ex : banque, finance, coiffure, assurance), de personnes ou de groupes (ex : consommateurs, avocats, étudiants, familles), d’organisations (ex : haute école spécialisée, fédération, association), de produits (ex : machines, outils, voiture), de secteurs (ex : boulangerie, menuiserie, construction) ou encore d’activités (ex : football, sport, yoga).

L’ODI vise exclusivement à protéger l’élément concurrentiel, c’est-à-dire la composante « besoin de libre disponibilité ». Le rapport explicatif de l’ODI précise à cet égard que les noms génériques peuvent donner un avantage concurrentiel déterminant sur l’Internet à ceux qui les ont enregistrés comme nom de domaine et font dès lors fréquemment l’objet de transactions privées pouvant être assimilées à de la spéculation4.

Dès lors, si le nom de domaine n’est pas susceptible de donner un avantage concurrentiel déterminant à son titulaire, peu importe qu’il soit dénué de caractère distinctif.

L’« imposition » dans le commerce

En droit de marque, un terme générique peut constituer une marque s’il n’est plus perçu comme une indication descriptive, mais uniquement comme un renvoi à une entreprise, et qu’il n’est pas soumis à un besoin de libre disponibilité absolu. On dit alors que le terme s’est imposé dans le commerce et qu’il un caractère distinctif acquis.

Dans le DNS, une forme d’imposition, dans le sens où un terme générique peut être attribué, est également possible. Sur le site Web de l’OFCOM, il est expliqué que

« des termes initialement génériques qui sont à tel point individualisés notamment par une marque, une entreprise ou un monopole qu’ils ne représentent plus un genre ou une catégorie aux yeux de la collectivité peuvent constituer un nom de domaine. Il n’y a pas lieu de conclure pour de telles désignations qu’il s’agit de termes génériques au sens de l’Ordonnance sur les domaines Internet (ODI).

Ainsi, des marques et raisons de commerce notamment, qui a priori correspondent à une dénomination à caractère générique, peuvent malgré tout être attribuées aux titulaires de ces signes distinctifs lorsque (1) la désignation concernée ne présente pas d’intérêt particulier (sinon, un mandat de nommage devrait être envisagé) et pour autant qu’une telle attribution (2) n’entraîne pas de confusion pouvant porter préjudice à un tiers ou (3) ne donne un avantage concurrentiel déterminant sur l’Internet. »

Le critères d’une « imposition » dans le DNS sont relativement différents de ceux qui prévalent en droit de marques, mais ils poursuivent le même but: éviter qu’une attribution crée une distorsion de la concurrence.

Le terme «keyfinder» dans le DNS et en droit de marque

En l’occurrence, dans l’arrêt en cause, le TAF constate que le terme « keyfinder » se traduit par « trouveur de clé ». Selon wikipedia, ce terme décrit un petit appareil électronique utilisé pour retrouver des clés perdues ou égarées.

Pour le TAF, un tel appareil peut fonctionner de différentes manières, pas uniquement de façon électronique. Le terme constitue donc une désignation qui décrit d’une manière générale une catégorie ou une classe de biens. Il s’agit donc d’un terme générique qui ne peut pas être attribué comme nom de domaine que sous mandat de nommage.

En 2003, l’IPI avait considéré que ce terme n’appartenait pas au domaine public en lien avec des porte-clés et des plaquettes ainsi que pour les services des classes 35 et 45.

S’il avait fallu statuer sur une demande identique aujourd’hui, nous sommes d’avis que l’IPI serait arrivé au même résultat. Le terme « keyfinder » n’est pas directement descriptif pour ces produits. Un porte-clés ou une plaquette en métal ne sont en effet pas des « trouveurs de clé ». La classe 35 couvre des services de gestion et d’administration. En lien avec ces services, le signe n’est pas non plus directement descriptif. Un «trouveur de clé» ne décrit en effet pas directement un service de gestion d’un bureau d’objets trouvés. Enfin, il faut certainement un effort de réflexion pour conclure au caractère descriptif du signe en lien avec des services de sécurité pour la protection des biens (cl. 45).

Ainsi, le signe « keyfinder », bien que générique au sens de l’ODI, peut consituer une marque pour certains produits et services. Cette marque ne lui donne cependant aucune prétention à l’attribution du nom de domaine correspondant5.


1 Stéphane Bondallaz, Les nouvelles règles suisses en matière de noms de domaine Internet, sic! 2015, 266; p. 269
2 Ibid.
3 Un nom de domaine générique peut néanmoins être attribué lorsque l’attribution se fait non pas dans l’intérêt d’un seul mais dans celui de la communauté suisse ou la communauté concernée par la dénomination requise. Il s’agit d’une attribution sous un mandat de nommage associées à des exigences spéciales (art. 59 ODI).
4 OFCOM, Rapport explicatif de l’ODI, 13.02.2014, p. 37
5 La marque peut servir à récupérer un nom de domaine attribué à un tiers. Dans une telle hypothèse, le terme qui constitue le nom de domaine (et la marque) ne doit pas être considéré comme générique et pouvoir faire l’objet d’une attribution comme nom de domaine.

1 thought on “Le domaine public dans le DNS – le cas de « keyfinder.swiss »

  1. Au vu des décisions récentes de l’IPI mais aussi du TAF, est-il vraiment certain que l’enregistrement en tant que marque de l’expression KEYFINDER serait accepté? Les porte-clefs équipés d’un dispositif permettant de repérer et trouver ses clés sont devenus courants et les consommateurs peuvent aisément s’attendre à ce qu’un porte-clé ait cette propriété.

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